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Photo du rédacteurLe collectif du doute

Entre l’avoué et l’innocent : la fin d’une procédure.

Le Tribunal pénal canonique national (TPCN) a rendu un avis non motivé ce 2 avril 2024 sur l’affaire des Voix Libérées. Résultat sans surprise dans la mesure où un problème de compétence ou de collusion pouvait se poser. Explications sur une décision en demi-teinte.


« Au recours (remonstratio), que vous avez déposé le 21 mars 2024, demandant la révocation du décret pénal […], je réponds négativement. » Cette simple formule du TPCN a suffi pour rejeter, sans la moindre motivation, le recours très argumenté de l’avocat ecclésiastique demandant la levée des charges qui pesaient sur l’ancien directeur des Petits Chanteurs de Touraine. 

« C’est un peu court » aurait dit un homme célèbre épris de liberté et d’indépendance. Mais, après tous les arguments démontrant l’innocence du Père incriminé, aucune objection n’a été formulée : contre le droit et le bon sens, le tribunal condamne au bénéfice du doute. Renversement étonnant contrevenant aux principes du droit. Pourquoi cette inversion de la légalité ?


De fait, le TPCN était-il en position de pouvoir traiter l’affaire des Voix Libérées ? Depuis le transfert du dossier à la Curie romaine, la question se pose désormais avec plus d’insistance. Installée en 2022, la nouvelle instance de justice de l’Église de France n’est pas compétente dans les causes réservées au Saint-Siège, notamment les delicta graviora, dont les délits sexuels à l’encontre de mineurs, qui sont au cœur de l’affaire des Voix Libérées. Pourquoi a-t-elle alors été traitée en dehors du Saint-Siège ? Le dossier de presse [1] du 5 décembre 2022 sur l’installation du TPCN apporte naturellement une réponse : « Le Saint-Siège pourra, au cas par cas, déléguer au TPCN le droit et le soin de juger une cause particulière qui lui est réservée. » Ce qui a été le cas.


Mais, soucieux du respect du Droit, le Collectif du Doute, comme tout autre lanceur d’alerte, pouvait légitimement questionner le bien-fondé de cette « délégation » dans la mesure où elle comporte le risque d’un conflit d’intérêt.


D’après les statuts de ce tribunal, le Conseil permanent de la Conférence des Evêques de France (CEF) nomme le vicaire judiciaire, ses adjoints, les juges et le promoteur de justice et ses adjoints. En tant que vice-président de la CEF, Mgr Jordy, archevêque de Tours, y tient donc une place prépondérante. Or, un « dépaysement » n’a-t-il pas été prévu « en vue d’assurer une meilleure administration de la justice pénale au sein de l’Église en France » ? Le dossier de presse précise : « il est apparu nécessaire d’éloigner le traitement des causes des diocèses où les faits ont été commis. »


Mais, cet « éloignement » a été plus que douteux à bien des égards. Depuis le début, le traitement de cette affaire par Mgr Jordy a fait l’objet d’alertes restées jusqu’au bout infructueuses.  Pourtant, les lecteurs de ce site savent que l’Ordinaire du lieu :


- n’a jamais pris la peine de questionner le mis en cause sur les faits dont on l’accuse ;

- a d’abord refusé une enquête malgré nos demandes et nos réserves sur un jugement trop hâtif ;

- a joué le jeu de l’impartialité pour ensuite prendre fait et cause pour les plaignants, sans aucune preuve, sur la base d’articles de presse alors qu’une enquête pénale était en cours, en suite des plaintes déposées ;

- a laissé le Père Tartu dans le dénuement (plus de logement alors qu’il était malade, âgé, isolé de ses proches…) ;

- n’a pas suivi le droit canon en bien des points. Dans le « Vademecum sur quelques points de procédure dans le traitement des cas d’abus sexuels sur mineur commis par des  clercs [2] », les procédures préconisées ont à peine été prises en compte et, finalement, ont été bafoués [3] les principes de l’exercice de sa charge épiscopale mentionnés dans le Directoire pour le ministère pastoral des évêques, Apostolorum Successores.

- a prononcé une suspens a divinis à la validité plus que contestable [4], au lieu de mesures conservatoires (cette décision, du reste, avait été retirée du dossier du TPCN avant d’être réintroduite par l’avocat ecclésiastique) ;

- a refusé de l’aider au financement de ses avocats alors qu’il n’en avait pas les moyens, élément pourtant essentiel d’un procès équitable ;

- a présidé une célébration victimaire calomnieuse en sa cathédrale, alors qu’il était tenu de veiller à la réputation de l’accusé pendant l’instruction du TPCN, violant ainsi délibérément et publiquement le principe de la présomption d’innocence ;

- a joué d’influence (au moins par téléphone a-t-on appris lors des auditions comme témoin au tribunal) pour décrédibiliser le Collectif du Doute et donc, nécessairement, les témoignages de ses membres et inférer sur la décision ;

- a permis une rencontre avec l’INIRR qui a versé des dédommagements aux plaignants bien avant le jugement du TPCN, laissant ainsi présumer d’une sentence acquise ;

- a autorisé le collectif des Voix libérées à exprimer sa volonté de « salir » la mémoire du prêtre incriminé, jusqu’à celle des membres du Collectif du Doute, toujours avant le jugement, comme si la culpabilité était déjà actée pour le tribunal…

- etc.


Bref, aurait-il agit autrement s’il avait eu la crainte d’être contredit par un décret du TPCN ? A s’en tenir aux faits, tout pour lui semblait joué d’avance. Il était convaincu de son impunité.


Alors, comment ne pas s’interroger sur la réelle indépendance du tribunal ? Sa décision pouvait mettre en porte à faux le vice-président de la conférence des Evêque de France, qui s’était personnellement et publiquement impliqué dans cette affaire sans attendre l’issue des enquêtes. Que pouvait bien peser, dans ce cas, un vieux prêtre âgé et démuni qui clame son innocence ? Le déclarer publiquement et officiellement innocent revenait à désavouer le prélat.


Le Tribunal n’a pas voulu trancher ce nœud gordien. Alors, sa décision, confirmant un verdict arbitraire établi d’avance, paradoxalement, n’incrimine pas le prêtre à la mesure de ce qui lui a été publiquement et médiatiquement reproché. Si les faits avaient été avérés, les juges n’auraient jamais hésité à infliger la peine maximale. Or, le « condamné » bien que maintenu dans son état clérical, est seulement empêché d’exercer publiquement son ministère, à titre perpétuel. La reconnaissance de son innocence est donc à aller chercher en creux.


En réalité, la motivation du décret a mis en évidence de nombreux doutes. Les éléments à charge se sont toujours heurtés à des éléments à décharge. Voilà pourquoi la plaidoirie de l’avocat a sans hésitation formulé une demande sans équivoque : une déclaration de l’innocence de l’accusé. Lors du recours, les arguments invoqués par la défense rendaient impossible une motivation de condamnation en droit. Mais face à ses contradictions, le tribunal n’a pas su ou pas voulu répondre.  Devant cette incapacité, - ou incompétence - à examiner objectivement les éléments du dossier et à faire application du droit, comment un profane ne verrait-il pas un déni de justice ?


En outre, la dimension médiatico-politique de cette affaire a gravement compromis une authentique recherche de vérité. Comment comprendre cette décision et lui donner du crédit quand aucune des interrogations majeures du Collectif du Doute n’a trouvé de réponse ? Toutes les incohérences et irrégularités relevées au fil de cette affaire ont conduit à poser la question des faux souvenirs, de l’empreinte idéologique, du profil psychologique de l’accusé, de l’intentionnalité de ses actes, du règlement de compte… Et au bout du compte : rien. Les analyses du Collectif du Doute formulées depuis le début de cette affaire se confirment en l’absence d’éléments tangibles. Même l’expertise psychologique n’a pas permis de tirer des conclusions à charge.


Contre tout entendement, l’Eglise, n’hésitant pas à pratiquer la politique du bouc émissaire poursuit ici l’élan de sa vague d’épuration éthique. Mgr Jordy a surfé dessus en déployant ses plus belles figures destinées à impressionner un public soucieux du ménage bien fait. Et le tribunal a condamné pour ne pas semer le trouble, tout en restant en eau trouble, sans incriminer davantage l’accusé. Drôle de clémence à deux sens. Curieuse conception de la justice qui n’est pas sans rappeler les heures sombres d’une institution plongée dans l’obscurantisme et l’inquisition. Par crainte de la Vox Populi, les doutes se sont mués en certitudes pour satisfaire les plaignants. La sacralisation de leur parole a conduit à prolonger leurs plaintes en une condamnation presque automatique. Mais est-ce vraiment honnête et rationnel de se reposer unilatéralement dessus quand elle renvoie à des éléments inexploitables [5] ?


Cette affaire, reconnaissons-le, est devenue essentiellement politique en servant avant tout de support pour faire valoir une image exemplaire [6]. Pour redorer son blason, l’institution, et sans doute l’Ordinaire du lieu, a voulu apparaître irréprochable.  De la Com’ en somme, mais au mépris et même en violation des règles et des principes les plus élémentaires du droit. Paradoxe peu évangélique.


Face à deux collectifs de petits chanteurs de Touraine, le Collectif du Doute qui a recherché des solutions justes et les Voix libérées aux méthodes violentes (militantisme, outrage, dénonciation calomnieuse, diffamation, vengeance…), face à deux postures radicalement différentes, l’Eglise a délibérément fait le choix de soutenir le pire. Tout cela a amplement été mis à jour sur ce site.


Et maintenant, d’autres questions plus profondes resteront certainement sans réponse. Les démarches des Voix libérées ont fait le lit de positions idéologiques incompatibles avec la foi chrétienne. Comment l’archevêque de Tours peut-il laisser ses fidèles s’y coucher ? Comment peut-il siéger sur une cathèdre quand il s’assoie allègrement de tout son poids sur les fondements de toute vie ecclésiale ? Difficile à savoir. Mais, en même temps, chaque fidèle, chaque homme encore debout est libre de lui demander.


Aussi, une dernière alerte devrait être lancée en direction des prêtres ou potentiels accusés qui, dans pareille affaire, ne seront pas soutenus par leur hiérarchie malgré les doutes, les irrégularités et qui seront jugés sans aucun souci de proportionnalité, même malgré les saints services rendus [7]. Une effroyable question s’impose désormais à eux : à qui le tour ? Et dans ces nouvelles persécutions qui ne citent pas leur nom, l’Eglise saura-t-elle encore reconnaître un jour ses martyrs [8] ?


En définitive, tout vient confirmer les avis et la position du CDD qui s’est refusé à suivre l’injonction publique de devoir choisir un « camp ». Sa posture est accessible à qui le veut, et aujourd’hui, comme l’aurait précisé Blaise Pascal, dans cette affaire : « Il y a assez de lumière pour ceux qui ne désirent que voir, et assez d’obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire. »


NOTES


[1] À la page 8 du dossier de presse du 5 décembre 2022 sur l’installation du Tribunal pénal canonique national (TPCN).



[3] Dans un article sur la position du Diocèse sur le site du Collectif du Doute, de nombreux passages de ces textes officiels cités mettent en évidences les manquements évoqués. Dans le vadémécum, les paragraphes : 16 ; 21 ; 26 ; 27 ; 28 ; 34 ; 44 ; 61 et 66. Dans Apostolorum Successores, les sections : 2 ; 8 ; 41 ; 42 ; 47 ; 57 ; 62 ; 65 ; 69 ; 76 ; 77 ; 80 ; 81 ; 159 et 209. A lire en ligne dans les notes au bas de l’article.


[4] « La suspense interdisait autrefois à un clerc l’usage de son office ou de son bénéfice ou les deux (2278, 2 CIC17). Le bénéfice était le revenu d'une terre par lequel le clerc se finançait. La suspense est d’abord une censure c’est-à-dire « une peine par laquelle un baptisé, délinquant et contumace, est privé de certains biens spirituels ou attaché à des biens spirituels, jusqu’à ce que, la contumace ayant cessé, il reçoive l’absolution. » (2241, 1 CIC17). Autrefois dans le CIC17, elle pouvait être aussi une peine expiatoire ou vindicative (2298, 2 CIC17). Aujourd’hui, elle est seulement une censure. Elle a donc le but « médicinal » d’obliger un délinquant à sortir de sa « contumace » (persistance dans le délit en droit canonique) par une interdiction d’exercice qui rend toute activité contrevenante illicite (et non invalide sauf pour les actes de gouvernement interdits comme tels 1333, 2 CIC83). Son originalité réside dans son caractère modulable (1333, 1 et suiv. CIC83).

Le vadémécum publié par le St Siège le 16 juillet 2020 chargé de présenter l’ensemble de la procédure concernant les délits sur mineurs explique que, à la différence du droit ordinaire qui requiert des mesures conservatoires à mettre en place dans le cours du procès et pas avant (donc pas pendant l’enquête préalable 1722, CIC83), l’Ordinaire devra mettre ici en place des mesures conservatoires par décret mais : « 61. Il faut tout d’abord préciser que la mesure conservatoire n’est pas une peine – les peines ne sont infligées qu’au terme d’un procès pénal – mais un acte administratif dont le but est défini par les cann. 1722 CIC et 1473 CCEO. L’aspect non pénal de la mesure doit être bien expliqué à l’intéressé pour qu’il ne pense pas avoir été jugé ou puni avant l’heure ».

Par ailleurs le St Siège faisait noter que : n 62. « On constate fréquemment qu’est encore utilisée l’ancienne terminologie de suspense a divinis pour désigner la mesure conservatoire d’interdiction d’exercice du ministère imposée à un clerc. Il convient d’éviter cette expression, tout comme celle de suspense ad cautelam, car dans la législation en vigueur, la suspense est une peine. Elle ne peut donc pas être infligée à ce stade. En termes appropriés, on parlera, par exemple, de mesure d’interdiction ou de prohibition de l’exercice du ministère ».

Dans le cas du directeur des Petits Chanteurs de Touraine, cette mesure était donc invalide puisqu’il n’était pas contumace et ne pouvait pas faire l’objet d’une peine destinée à l’en faire sortir. »


[5] Quelle que soit la matière ou l’infraction reprochée, une plainte ne peut pas entraîner automatiquement la condamnation d’un accusé. Un dossier ne peut pas reposer exclusivement sur la parole d’un plaignant, son opinion ou son point de vue, surtout lorsque les faits reprochés sont très anciens, sans témoins et procèdent d’une réinterprétation des faits à partir d’une herméneutique contemporaine idéologiquement très marquée.


[6] Tout un chacun pouvait naïvement penser que l’Eglise prendrait du recul sur les dérives contemporaines, mais il n’en est rien. Dans un souci de popularité, elle veut se montrer irréprochable dans la répression des abus sexuels. Ce but est louable pour les affaires claires dans lesquelles les faits sont avérés, voire reconnus. Mais ce positionnement est très contestable lorsque les abus ne sont pas démontrés et son niés par le mis en cause. Dans des affaires où la justice étatique n’a pas poursuivi et classé sans suite, l’Eglise a pu condamner. Quel est le fondement de cette soudaine sévérité ? A titre d’exemple récent tiré du journal Ouest France du 21 juillet 2023, un prêtre du diocèse du Mans a été renvoyé de l’état clérical. D’après le Procureur « les faits de nature sexuelle ont été reconnus par l’intéressé, toutefois la procédure a été classée sans suite le 27 juillet 2020, la contrainte n’apparaissant pas suffisamment caractérisée. » Pas de condamnation pénale mais un traitement clérical sans mesure.


[7] Encore une fois, s’ils sont victimes de fausses accusations, les prêtres doivent savoir qu’ils ne seront pas soutenus par leur hiérarchie et qu’ils seront condamnés, même en cas de doute. Qu’ils prennent conscience que les événements de ces dernières années permettent de déduire que l’Eglise a décidé de faire application du principe de précaution et d’éliminer tous les prêtres qui feraient l’objet d’une plainte, même s’ils sont injustement accusés. Dans ce cas, rien de ce qu’ils auront fait pour leur Eglise ne sera pris en considération. Les sanctions, rappelons-le, ne connaissent plus aucune proportionnalité.

Inversement, pour ceux qui veulent se débarrasser d’un prêtre, sachez qu’il suffit de déposer plainte. À tort ou à raison, vous obtiendrez toujours gain de cause.


[8] Le narratif médiatique sacralisateur construit autour des victimes empêche de voir les autres victimes collatérales qu’il engendre. A titre d’exemple, cette vidéo « La PUISSANCE de la foi : victime d'un prêtre, il surmonte l'ENFER de la pédophilie. » est révélatrice d’une tendance à considérer à tort les victimes comme des martyrs… et à en faire « nos maîtres ». Ici, dans l’introduction, l’usage de la notion de martyre est abusif et dévoyé. Chez le martyr, la blessure est la conséquence du témoignage. Là, le témoignage est la conséquence d’une blessure qui n’a pas été causée au nom de la foi. Difficile qu’il en soit autrement à 5 ans (Cf. également le point de vue sur l’amnésie traumatique). Cet argument directement adressé au religieux Youtuber n’a éveillé en réponse aucune considération intellectuelle. Placé ensuite en commentaire, il a purement et simplement été effacé. Raisonner pour dialoguer devient difficile. La démarche de cet influenceur s’inscrit dans l’air du temps qui tend à faire des victimes des héros…, et, ici, de la foi. Le phénomène est très bien analysé par Pascal Bruckner dans son récent livre : Je souffre donc je suis chez Grasset.

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