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La tragédie des Voix Libérées

Ce dimanche 19 mars, en la cathédrale de Tours, la célébration mémorielle à l'intention des victimes d'abus dans l'Eglise a permis une nouvelle reconnaissance officielle du collectif des Voix libérées partie prenante d’une liturgie victimaire non sans conséquences.

« La vie est une tragédie traversée de lumière. » Cette conclusion de l’Homélie de Mgr Jordy qui présidait la célébration mémorielle à l'intention des victimes d’abus sexuels s’est visiblement voulue l’axe principal de lecture d’un rassemblement préparé par la cellule d’écoute du diocèse de Tours en coopération avec le collectif des Voix libérées.


Combien sont tragiques, en effet, les drames évoqués les vingt premières minutes de la cérémonie. Les fidèles qui remplissaient la cathédrale de Tours ont pu entendre résonner au cœur des pierres l’écho des témoignages lancés à pleine voix dans la presse locale depuis plus d’un an : les mêmes récits imprécis… et maintenant, des suicidés inconnus qu’on ajoute à la liste.


Comme toute tragédie, la fatalité s’est abattue sur eux, les laissant impuissants face au mal indicible (et pour cause) qui ne se mesure qu’à l’aune du rejet et du malheur de celui qu’on accable. Le prêtre incriminé qui n’a jamais été nommé, mais que tout le monde connaît, habitait toutes les pensées, exemple parfait du pédocriminel… et du mal à extirper.


A entendre les applaudissements des participants, la foule trouva sans doute son unité dans l’aversion contre un indésirable pourtant tant désiré pour lui faire porter le péché insupportable et jamais pardonné. Une ferveur commune empathique autour d’un pilori, pilier de cette célébration cathartique.


Ainsi, la tragédie s’est jouée dans la mise en scène de subjectivités officiellement arrivées à l’objectivité. La reconnaissance tant attendue des victimes est arrivée. Miracle de la performativité. Cette mise en lumière publique sous l’autorité de l’Archevêque de Tours est venue légitimer une croyance collective érigée au rang de vérité. Un nouveau crédo. Le « victime, on vous croit » s’est déployé dans toute sa splendeur. Les stances ont pris tout leur sens en ruinant la réputation d’un homme sans condamnation légale. Enfin, l’objectif est atteint : la honte a changé de camp. La reconnaissance des victimes laisse, de fait, reconnaitre en creux une culpabilité qui, cependant, peine encore à convaincre les absents.


Mais heureusement, rien n’est venu gâcher la représentation. A se demander alors pourquoi l’avocat du prêtre dénoncé n’a eu connaissance des résultats de l’enquête que le 20 mars, environ deux mois après la décision de classer l’affaire. Du reste, sans que toutes les parties soient informées équitablement, comment peut-on déclarer officiellement des victimes dans le cadre d’une affaire classée ? En outre, comment reconnaître ces conclusions quand des protagonistes de l’affaire n’ont délibérément pas été entendus par les enquêteurs ? Comment peut-on remettre sur le tapis une affaire déjà classée par Mgr Aubertin ? Comment l’Ordinaire du lieu peut-il appuyer tout cela de son autorité dans une atteinte caractérisée à la présomption d’innocence alors qu’il vient de signer l’ouverture d’un procès canonique. Dans ce contexte, les règles de l’Eglise lui imposaient de veiller à ce qu’il ne soit pas porté atteinte à la réputation de l’Abbé mis en cause. Mais, se plaçant ainsi au-dessus des lois, il en a visiblement décidé autrement, et c’est là que la tragédie prend toute sa mesure.


En voulant que les victimes soient entendues et prises en compte, en voulant avec une détermination démonstrative appliquer cette résolution de la Conférence des Evêques de France, ce vice-président a favorisé l’amplification d’un imaginaire collectif. Il aura donc usé (abusé ?) de son autorité pour outrepasser le droit et ancrer la situation dans un tragique inévitable.


De fait, rien n’aura fondamentalement changé, malgré cette volonté médiatique pour l’Eglise de se racheter une bonne conduite : Les victimes actuelles en appellent maintenant d’autres. L’accompagnement des blessés demandé par le CDD ne se fera visiblement pas. Après l’écoute, l’indemnisation ne vaut pas guérison. A défaut d’ouvrir les cœurs, l’Eglise se résout-elle à ouvrir le tiroir-caisse ? En outre, ce récit officialisé condamne à l’oubli les autres témoignages divergents. Il emmure dans le silence d’autres abusés [1] qui ne voulaient pas de place sur cette scène médiatique. « De nouveaux muets parlent » maintenant aux « mêmes sourds ». Et, dans l’imposition d’une pensée unique, que dire des dérives idéologiques, de la démocratie… ? Toujours la même logique d’enfermement.


Dans cette confusion généralisée, un homme aura été immolé ce dimanche sur l’autel du lynchage. L’archevêque aura réussi le tour de force de faire de cette eucharistie un « sacrifice d’actions de crasses » dénué de toute miséricorde. La foule aura pu chanter les louanges des témoins courageux, s’associer à leur prière universelle, universalisant leur démarche, communier à une liturgie victimaire ostentatoire et sans retenue. En définitive, le chant final des Voix Libérées, leur « Hear Ô lord », n’aura été dans cette tragédie que le chant du bouc… émissaire privé des harmoniques qui ont fait le bonheur des heures d’enfances de tous les anciens petits chanteurs, au demeurant bien plus nombreux que les 17 présents.


Aussi émouvante soit-elle, en définitive, cette tragédie ne vaut pas plus que le magicien d’Oz. Elle n’impressionne que ceux qui y croient. En attendant, Mgr Jordy aura pu faire entrer l’Eglise, qui n’est pas du monde, dans le monde de ses contemporains caractérisé par la société du spectacle [2] dans laquelle, pour Guy Debord, « le vrai est un moment du faux ».


Et là, la vie ressemble plutôt à une tragédie baignée de ténèbres.


[1] Dans l’espoir que la procédure auprès du tribunal canonique national permettra que soit exprimés ces abus dans un cadre plus propice à la discrétion et au respect des personnes mais aussi de leur vie privée.

[2] « Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux. » Guy Debord, La Société du spectacle (1967), éd. Gallimard, coll. « Quarto », 2006, thèse 9.

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