Depuis maintenant un peu plus d’un an, la presse tourangelle se fait l’écho d’accusations d’agressions sexuelles au sein de la Manécanterie des Petits chanteurs de Touraine. L’émotion s’est emparée de l’opinion publique par une médiatisation qui l’a privée du recul nécessaire pour se forger un avis. Malheureusement, des zones d’ombres subsistent dans cette affaire trop rapidement classée qui révèle en définitive un déficit démocratique.
« L’émotion, c’est ce qui suspend immédiatement le raisonnement, précise Jean-François Tétu [1], spécialiste des médias. En cela, l’émotion, parce qu’elle repose sur une perception semble se détourner a priori de la rationalité constitutive de l’espace public comme espace de débat. » Et d’ajouter que depuis Voltaire et le Chevalier de la Barre, ou encore Zola et Dreyfus, l’opinion peut se mobiliser pour des causes rendues visibles par le spectacle de la souffrance.
En Touraine, la « libération » de la voix d’anciens petits chanteurs déclarant avoir été abusés a suscité le scandale et la compassion. Qui ne serait- pas touché par ces déclarations ? Qui ne les prendraient pas au sérieux ? Les médias ont laissé à leurs lecteurs le sentiment du pire face à l’absence de justice ; technique connue pour suspendre le jugement et en rester à l’indignation. D’un même élan, l’Eglise est allée jusqu’à rassembler ses fidèles pour une célébration de repentance considérant, à la suite des journalistes, l’affaire « classée ».
A l’instar du mouvement #MeToo, toute voix discordante discutant le récit « prêt-à-penser » de cette histoire, ou suscitant des remises en causes a été voué à la suspicion. Normal : la parole des « victimes » autodéclarées ne peut être remise en cause. Une critique reviendrait à étouffer à nouveau leur souffrance si longtemps passée sous silence ou ignoré. Inhumain. Alors, l’anathème est jeté sur les divergences d’opinion.
Pourtant, à contre-courant des postures convenues, un collectif d’anciens petits chanteurs, - Le collectif du doute - , s’est formé pour faire part, comme son nom l’indique, de ses incertitudes face à des irrégularités, des incohérences par rapport à sa mémoire, et à son histoire. Mais son témoignage est naturellement resté dans l’incompréhension. Encore maintenant, malgré une conférence de presse, un dossier de presse de trente pages, une heure de réponses aux questions, un site internet détaillé… son positionnement reste, pour bien des journalistes, difficile à appréhender (Cf. France Bleu, France 3, La NR, - La Renaissance Lochoise à ce jour n'a rien publié sur le sujet). Aucun article n’ose en rendre compte.
Effaçant ainsi du débat public la controverse, cette forme d’aveuglement partial a tout pour interroger. Au pays de Descartes, est-ce suspect de former un collectif du « doute » ? Au pays des Lumières, est-ce suspect de faire appel à la raison ? Suspect de rappeler les principes constitutionnels violés, de faire valoir le droit dans un Etat de droit. Suspect de s’inscrire dans la ligne d’auteurs ou d’intellectuels reconnus comme Sabine Prokhoris [2], Pascal Bruckner [3], Robert Badinter [4], Marie Dosé [5], Albert Camus… et d’autres cités dans ce blog. Suspect de se soucier autrement de la prise en charge des "victimes". Suspect de prendre du recul, d’alerter l’opinion sur les procédures bafouées, les dérives sociétales qu’elle engendre… Suspect d’alerter sur les impasses désastreuses de cette affaire. Invraisemblable ! Mettre une parole en débat conduit à être exclu du débat. Pourquoi faudrait-il en écarter toute parole clamant sa fidélité à son double héritage : les valeurs de la République et celles acquises dans la chorale de son enfance ? Au nom de quoi ? Quid de la fidélité de nos concitoyens à nos principes démocratiques ? Pourquoi ce silence ? Pourquoi cette atonie républicaine ?
En attendant, toutes les analyses détaillées de ce collectif ont été ignorées, les pistes d’investigation n’ont pas été suivies, les fausses déclarations dans la presse n’ont pas été corrigées. Pourtant, des incohérences auraient mérité de la nuance et de la prudence dans le traitement des informations : un plaignant déclare être à côté du prêtre qui se masturbe en regardant un film pornographique. C’est faux : nous savons qu’il n’avait pas de magnétoscope au moment des faits allégués. Un autre déclare être violé après les répétitions à une période où l’Abbé Tartu n’était jamais disponible à ce moment-là. On décrit un « système d’emprise » qui n’a jamais existé… et les contradictions s’accumulent avec le temps.
Et voilà l’inconcevable contradiction : Faut-il en conclure que les plaignants ont menti ? Malgré les a priori, la réponse est non. Il serait inacceptable de ne pas reconnaitre leur souffrance. Ils sont certainement convaincus de ce qu’ils avancent… sans pour autant dire forcément la vérité. Les plaintes ont été déposées très tardivement, au-delà du délai de prescription, après la disparition des témoins proches et des preuves constatables. Elles se basent donc sur la seule mémoire qui, n’en déplaise à certains, ne fonctionne pas comme une caméra vidéo. La résurgence inaltérée du souvenir après un traumatisme relève plus d’une doctrine psychologique militante que d’une réalité de la vie psychique. Prendre la parole d’une personne se déclarant victime pour argent comptant révèle une profonde ignorance du caractère fragmentaire, plastique et reconstructeur de la mémoire.
Les souvenirs s’insèrent dans une trame émotionnelle, imaginaire et teintées par les enjeux du présent (en l’occurrence, la vague de dénonciations nationale semble propice). Le refoulé, préciserait un psychanalyste, source de frustrations de désirs inavouables peut faire l’objet de projections accusatrices et vengeresses sur une personne qui cristallise les fantasmes. « Une accusation de violences sexuelles, déclare Sabine Prokhoris[6], peut résulter de telles projections construites autour d’un « noyau de vérité » qui, dans l’ordre de la réalité matérielle est d’une toute autre nature qu’un abus sexuel. » Dans ce cas, toute parole libérée mérite d’être questionnée pour discerner ce qu’il en est. La guérison n’est-elle pas alors en jeu ? Est-ce alors nécessaire de douter et redouter la contradiction dans le débat ? Le refus de la pluralité des avis est contraire aux intérêts thérapeutiques des plaignants. L’hypermédiatisation ne leur rend pas service. Encore faut-il avoir le courage de dépasser l’émotion.
En attendant, ce 6 mai dernier, l’Abbé TARTU a déclaré son innocence dans un communiqué de son avocat reprenant ses déclarations. Les aveux supposés n’en étaient pas. Retour au point de départ. L’article de la Nouvelle république commentant cette déclaration met en lien le reportage de TV Tours. Les lecteurs peuvent y entendre la déclaration interprétée par les journalistes comme une reconnaissance des abus. Malheureusement, le procédé et les conclusions tirés sont discutables et les précisions du Père TARTU n’ont rien d’un revirement. Le journaliste de la Nouvelle république, fidèle à la ligne de son journal, continue de manifester son incompréhension tout en prenant soin d’occulter certaines parties de la déclaration faisant mention de manipulations autour des victimes, et des procédures envisagées pour « calomnie et diffamation ». Pourquoi ne pas explorer la piste du règlement de compte ou de la récupération ? Pourquoi ignorer la forêt cachée par l’arbre de la parole victimaire ? Les avis et les commentaires ajoutés par le journaliste doivent-ils avoir plus de valeur ?
Pour l’heure, rien de tangible n’apparaît dans cette affaire et la rigueur intellectuelle voudrait qu’on attendît les résultats des enquêtes en cours pour commencer à tirer des conclusions. Des expertises psychologiques s’avèrent nécessaires. Une contextualisation des faits est indispensable.
Dans la continuité du phénomène #MeToo, les histoires racontées semblent davantage s’inscrire dans ces nouveaux récits performatifs médiatisés à outrance en imposant un autre modèle de société. Toute contestation de la doxa médiatique devenant « sacrilège », les articles sur l’affaire TARTU ont plutôt généré, en l’occurrence, une croyance collective génératrice de vérités toutes faites sans prises avec la réalité. Dans ces conditions, un traitement sans violence de cette affaire, dans le calme et la sérénité, à la différence du collectif Voix libérées, semble presque mission impossible.
Or, une prise de conscience s’impose : quand la pratique du débat s’essouffle, la démocratie tousse et, à petit feu, la liberté d’expression expire. Le collectif du doute aura joué son rôle de lanceur d’alerte dans l’inquiétude d’un « monde d’après » construit sur les ruines de nos droits fondamentaux mis à mal par ces nouvelles dilutions du réel. Il aura sa conscience pour lui.
Il revient donc aux lecteurs d’interroger leurs médias sur la part idéologique de leurs choix éditoriaux. Il conviendrait aussi d’interroger le diocèse de Tours sur sa tendance à légitimer des affirmations pour l’instant infondées. La question se pose également aux fidèles pour cerner la compatibilité de leur foi avec ces nouveaux totalitarismes rampants qui imprègnent les mentalités et influencent la conduite de leurs responsables pastoraux.
Beaucoup assènent : « Que la justice se fasse ! ». Peu, en définitive, en respectent les fondements et les procédures, à commencer par la présomption d’innocence et au bout du compte, le droit à l’information.
La mobilisation de l’émotion dans les médias n’est, en définitive, jamais innocente. Tout lecteur averti doit pouvoir cerner dans ce dénominateur commun de l'humanité un présupposé de nature politique et critique. Tout récit dysphorique donnant à voir le désordre du monde laisse souvent entendre un autre ordre du monde.
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NOTES
[1] Jean-François Tétu. L’émotion dans les médias : Dispositifs, formes et figures. Mots: les langages du politique, ENS Éditions (Lyon), 2004, pp.9-20.
[3] Pascal Bruckner, Un coupable presque parfait, Grasset, 2020
[4] Inceste : Robert Badinter explique sur RTL pourquoi il est contre l'imprescriptibilité. Le 20/01/2021.
[5] Marie Dosé, Éloge de la prescription, Éditions de l’Observatoire, 2021, 141 pages,
[6] Sabine Prokhoris : "Quand le #MeTooféminisme dissout le réel". Marianne, le 01/04/2022.
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