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Photo du rédacteurLe collectif du doute

Les « victimes » ont-elles menti ?

« Victimes, on vous croit ! » Ce slogan initié par la vague #MeToo, brandi comme un étendard sacré, a ouvert une sorte de « révolution culturelle » sans pour autant révolutionner les avancées de la science. Un sujet complexe pour les spécialistes, à l’opposé des simplifications réductrices militantes diffusées dans les médias, et d’une prise en charge adaptée des «blessés ». Pour répondre, jouons alors à « ni oui, ni non »


L’honnêteté et la rigueur scientifique exigent de considérer tous les aspects d’une réminiscence. Quand une personne se livre, la libération de sa voix peut-être courageuse, parfois, dans la mesure où elle tente de trouver une porte de sortie de sa douleur qui l’enferme. Mais, parler suffit-il à trouver une issue ? Accuser publiquement sur la base d’un souvenir expose à l’adhésion affective de certains, ou au doute pour d’autres. La question du mensonge doit pourtant se poser dans la mesure où elle engage aussi un accusé et son entourage, direct ou indirect. Ont-ils alors menti ? Au-delà de la question déjà abordée dans le dossier de presse du collectif du doute [1], une réponse de normand, pour cette fois, s’impose.


Et si les faits répondent « oui » ?

Au risque de bousculer les idées reçues, au demeurant non validées par la science, répondre «oui » est possible à la lumières des faits et des allégations diffusées dans la presse, en contradictions avec la réalité de l’histoire de la Manécanterie et de son directeur.


Plusieurs points – précisés en note de bas de page - méritent d’être soulevés pour commencer à prendre la mesure du caractère fragmentaire et parcellaire, voire partiale de la mémoire des plaignants :


- L’abbé Tartu n’aimait pas les filles. Faux [2]. Elles ont fait partie de la chorale au début et à la fin de son histoire.


- La hiérarchie « savait ». Faux [3]. Les évêques précédents ont dit le contraire. Du reste, le terme hiérarchie est impropre.


- Le prêtre se masturbe avec un chanteur en regardant un film pornographique. Impossible [4]. Pas de magnétoscope à cette époque.


- Un ancien veut garder ses souvenirs (traumatique) « dans sa tête » jusqu’à sa mort et en même temps revient, adulte, aux Petits chanteurs en chantant les louanges de son directeur (- violeur) [5].


- Un autre a été violé 50 fois [6] après les répétitions, soit, si l’on tente d’en déduire une fréquence, deux fois par semaine. Et il n’est pas le seul. Quel rythme ! Incompatible avec l’emploi du temps de l’Abbé Tartu souvent présent en fin de répétition pour discuter avec les parents, ou obligé de retourner à ses obligations sacerdotales.


- Un plaignant lochois suit la Mané lorsqu’elle déménage à Tours [7]. Or, les activités de la chorale ont été un moment stoppées. Il avait donc l’occasion de ne plus venir pour ne plus subir. Pourtant, il revient, et de surcroît, avec son frère.


- Le même lochois venait aux répétitions dans un local situé loin du domicile de l’agresseur. A la fin des répétitions, il fallait vite attraper le bus ou profiter du covoiturage. Des moments d’horrible solitude avec le Père Tartu étaient donc impossibles.


- On décrit un « véritable système d’emprise [8] » qui n’a jamais existé, tout comme une absence des parents qui contestent aujourd’hui cette mise à l’écart imaginaire… et les contradictions s’accumulent avec le temps.


Accumuler les faits, les chiffres et les remettre en perspective offre une prise de recul qui rend les événements décrits dans la presse très difficilement réalisables. Sans compter le contenu des autres plaintes qui n’a pas été révélé. La somme assomme médiatiquement, mais convainc peut rationnellement. Faut-il alors refuser de croire les plaignants ? Faut-il au contraire accueillir aveuglément l’irrationnel ? Ne pourraient-ils pas pour autant être sincères ?


Alors, des menteurs ? Et si la réponse était non ?

Les incohérences ou les contradictions de leur témoignage n’autorisent pas à considérer les plaignants comme des menteurs, à proprement parler. A l’instar des médias et des militants, ce serait négliger la réalité du « mécanisme » de la mémoire.


La tendance actuelle à croire sur parole vient d’une doctrine psychologique militante de l’amnésie traumatique [9] qui considère que le choc traumatique provoquerait mécaniquement une amnésie, parfois très longue. Sans raison encore expliquée, les scènes traumatiques ressurgiraient, plus tard, parfois très tard, inaltérées. Elles pourraient donc avoir ainsi valeur de preuves matérielles.


Mais, les spécialistes de la mémoire ne l’entendent pas ainsi. Malheureusement, des spécialistes des questions de la mémoire et de l’oubli, tels Richard McNally, Scott O. Lilienfeld, Elizabeth Loftus et Daniel L. Schacter, n’ont pas été entendus avant que ne soit entériné dans la loi ce concept controversé qui influence une généralisation abusive dans les mentalités. Les études de R. McNally, professeur de psychologie à l’université Harvard, auteur de Remembering Trauma (2003), et de Scott O. Lilienfeld, professeur de psychologie à l’université Emory à Atlanta, auteur de 50 Great Myths of Popular Psychology (2009), celles d’Olivier Dodier, docteur en psychologie sociale et cognitive, ainsi que les écrits du neuropsychologue Francis Eustache, spécialiste de la mémoire, prouvent que la pertinence de ce phénomène est loin d’être avérée.


Notons que c’est sur des sujets autant controversés que le législateur a allongé le délai de prescription des crimes sexuels sur mineurs de vingt à trente ans à compter de sa majorité. Le militantisme et les simplifications médiatiques ont pris le pas sur la rigueur scientifique. La propagande de personnalités discutables comme Muriel Salmona [10] s’est imposée.


Olivier Dodier, docteur en psychologie sociale et cognitive explique que ce concept de mémoire traumatique «défie tout ce qu'on connaît sur la mémoire. C'est séduisant et simple, c'est une sorte de tentative de neurobiologiser le refoulement de Freud. Mais c'est faux scientifiquement. Quand on récupère un souvenir, il s'altère.» A la différence d’une caméra vidéo, la mémoire évolue par « reconstruction ». Alors, «on comble les petites brèches pour donner un sens à l'événement, avoir l'illusion qu'on sait ce qui s'est passé». En conséquence, «ce n'est donc pas la copie conforme de ce qu'on a vécu, on ne peut pas dire que la mémoire traumatique est fiable [11]. »


Pour Scott O. Lilienfeld, Professeur de psychologie à l’Université Emory, à Atlanta, « les «souvenirs » retrouvés en psychothérapie frappent souvent les personnes qui les vivent comme s’ils étaient authentiques ; il ne fait aucun doute que pratiquement toutes les personnes qui souffrent de ces souvenirs retrouvés sont sincèrement convaincues de leur exactitude. Néanmoins, des décennies de recherche en psychologie nous ont appris que la confiance subjective des gens dans leurs souvenirs n’est pas un baromètre fiable de leur exactitude. Des études montrent que la plupart des gens peuvent être tout à fait convaincus de la véracité de certains souvenirs qui sont manifestement faux [12]. »


Dans Marianne [13], Sabine Prokhoris précise le bilan actuel sur ce concept. « Ce scénario de science-fiction – les traumatisées seraient paraît-il « téléportées » (sic) dans le passé – ignore délibérément en effet le caractère fragmentaire, plastique et reconstructeur de la mémoire, que démontrent pourtant les recherches scientifiques les plus pointues, en phase sur ce point avec la pensée freudienne, et avec ce que nous enseigne l’écoute des analysants – mais aussi l’expérience la plus ordinaire. Car les souvenirs, y compris les plus précis, sont insérés dans une trame émotionnelle et imaginaire, et colorés par les enjeux du présent. »


« Ensuite, pour la psychanalyse, les souhaits et fantasmes inconscients, sexuels en particulier, sont en eux-mêmes traumatiques, en raison de l’intensité pulsionnelle qui les habite. Le refoulement, au sens freudien, vise à les bannir loin de « soi », mais ne les supprime pas. Intimement conflictuelle donc, cette intensité confuse est une source d’angoisses souvent insupportables, d’affects douloureux et ambivalents. Conjuguée à la frustration inévitable, la panique face à ses propres vœux inavouables peut alors donner lieu à diverses projections, accusatrices et vengeresses autant parfois que rageusement énamourées, sur une figure persécutrice qui cristallise ces fantasmes, et apparaît aux yeux du sujet envahi par ses propres pulsions et déchirements ingérables comme la cause de tous ses maux. Mais la réalité indubitable d’une souffrance ne saurait attester la justesse objective des convictions par lesquelles la personne qui l’éprouve explique son mal-être. »


« Une accusation de violences sexuelles peut ainsi résulter de telles projections, construites autour d’un « noyau de vérité » qui, dans l’ordre de la réalité matérielle, s’avérera d’une tout autre nature qu’un abus sexuel. La personne qui la prononce, de façon performative en somme, indépendamment même de toute volonté destructrice – rarement absente cependant –, est elle-même persuadée qu’elle dit la vérité. Démêler alors ce qu’il en est ? Mission impossible, dès lors que sa parole, est reçue comme non questionnable. »


Gilles Martin, par exemple, a déclaré sur France 3 [14] : « Les preuves, ce sont les cicatrices intérieures que l’on a. ». Dans ce cas, la douleur peut être accueillie, elle le doit, mais la « preuve » ne sera objectivement pas recevable. La cicatrice parle de l’agressé, pas de l’agresseur.


Il en va donc de l’intérêt du patient-plaignant d’être confronté à son histoire et aux faits pour dépasser les représentations, les projections et revenir à ce « noyau de vérité » à traiter pour guérir. Valider les accusations par simple empathie, à partir d’un présupposé issu d’une doctrine militante et leur donner un caractère véridique revient à condamner le plaignant à un statut de victime auto-perçue perpétuelle, surtout si les aveux de l’accusé (peut-être innocent) peinent à venir. Dans ce cas, confirmer, c’est enfermer.


D’après Marie Dosé [15], « l’abus du souvenir entretient la victime dans une définition identitaire qui aggrave le mal dont elle souffre ». Si la prescription impose un oubli judiciaire, ce n’est pas pour nier le crime énoncé par la « victime », mais pour « l’arracher au cercle infernal de la vengeance et de la justice privée ». La reconnaissance d’un statut de victime, tout comme la seule solution d’un procès pénal ne peuvent garantir l’apaisement. Contrairement à ce que pensent les associations de victimes, les propositions de loi, et par extension l’opinion mobilisée, le combat dans lequel les plaignants se lancent, bien tardivement, les condamnent à raviver régulièrement leur douleur.


La solution est ailleurs.

En attendant, pour le bien de tous – accusateurs et accusé -, dans l’affaire Tartu, la sagesse aurait voulu que l’on s’appuyât sur des expertises psychologiques et que l’on attendît les conclusions des enquêtes avant de véhiculer des vérités illusoires en colportant des certitudes accompagnées de slogans dévastateurs. Mais, la sagesse est-elle désormais la position la mieux partagée ?


Par les slogans, une grave confusion s’opère dans les esprits entre croire, d’une part, et établir les faits d’autre part, mais aussi entre le récent et le passé.


Quand l’affaire est relativement récente, croire est une intention louable, surtout s’il faut briser l’omerta. Dans ce cas, la victime a alors besoin d’appuis pour avoir le courage de déposer plainte. Les statistiques montrent, en effet, que pratiquement personne dans ce cas ne ment. Le silence doit donc être brisé et la justice doit pouvoir faire son travail pour constituer les preuves et faire aboutir les procédures. Tout le monde en convient. Le plaignant est alors gagnant.


Le cas est différent quand les accusations remontent d’un passé lointain, quand les preuves se sont érodées et que les témoins directs ont disparu. La parole n’a plus la même détermination, le « courage » n’a plus le même sens. La réception de la plainte doit donc suivre d’autres protocoles, loin de toute simplification abusive, loin des réactions du premier cas. Sinon, le plaignant est alors perdant... tout comme l'accusé qui peut être innocent.


Les protagonistes de l’affaire Tartu ont agi dans l’ignorance de ces réalités psychologiques et ont visiblement fait le choix de l’impasse sur les plans légitimement attendus, humainement entendus et attendus.


A moins que d’autres objectifs moins avouables soient poursuivis… Mais, dans ce cas, toute recherche de vérité et de dignité restera vaine.


Vos commentaires, compléments, témoignages…

peuvent être déposés dans un espace disponible en bas de page.


NOTES :

[1] Voir notre dossier de presse, pages 12 à 18 sur l’approche scientifique du phénomène.

[2] «… d'ailleurs il n'aimait pas les filles », France Bleu du 5 octobre 2021. Le détail permet d’accentuer le caractère pédéraste et pédocriminel du portrait de l’agresseur. Or, ce choix exclusif des garçons répond à des raisons vocales (notamment le couleur). Le refus des filles revient davantage aux « grands » majeurs de l’époque lochoise. Qui plus est, à l’époque de la fondation, l’idée de mixité était assez récente dans les mœurs.

[3] France Bleu du 5 octobre 2021 : «Tout cela était su de la hiérarchie et de l'institution. C'est quand même un prêtre qui avait sous sa responsabilité plein d'enfants. Il est resté 60 ans à la tête de cette chorale, c'est hallucinant ! Qu'a fait l'institution ? »

Dans la Nouvelle République du 6 décembre 2018, l’évêque dit le contraire. Du reste, une nouvelle affectation mettant un terme à la manécanterie aurait réglé le soi-disant problème. Les évêques ont fait tout le contraire… tout simplement parce qu’ils n’avaient connaissance de rien.

[4] «Et lorsque le soir, je restais chez lui, il mettait des films érotiques et se masturbait à côté de moi. J'avais dix ans, je ne comprenais pas trop ce qu'il se passait."» France Bleu du 5 octobre 2021. A cette époque, l’Abbé Tartu n’avait pas de magnétoscope ! D’autres petits chanteurs de cette génération ont eu l’occasion de passer des soirées chez lui (événements cependant rares et exceptionnels) sans jamais voir, du reste, le moindre geste déplacé.

[5] RCF du 12 décembre 2021 : « Cet ancien soliste a chanté dans cette chorale de ses six à ses 15 ans et a gardé ses souvenirs pendant près de 40 ans. “C’était présent dans ma tête, mais j’avais mis un mur, j’avais soudé le couvercle et je m’étais dit que j'emmènerai [ces souvenirs] jusqu’à ma mort” », Malgré tout, il revient librement, rue Legras, bien des années plus tard, participer aux activités de la chorale.

[9] Ce concept a été façonné par Muriel Salmona, psychiatre, victime et militante, présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie, à partir d’un auto-diagnostic.

[10] Notons que la tribune signée le 14 mars 2021 3 par une centaine de personnalités, universitaires, scientifiques, professionnels de la santé et de l’enfance, magistrats et avocats, a vivement réagi à la diffusion par Brut d’une vidéo dans laquelle M. Salmona s’adresse ainsi aux enfants et aux adolescents : « À toi, future victime d’inceste, je suis désolée, car tu vas subir un viol commis par l’un des membres de ta famille. C’est intolérable, etc. » Collectif, «N’enfermons pas l’enfant victime d’inceste dans son traumatisme ! Relevons le défi de mieux l’entendre, le protéger, l’accompagner », Le Monde, 24 mars 2021.

[15] Marie Dosé, Éloge de la prescription, Éditions de l’Observatoire, 2021, 141 pages,



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