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Photo du rédacteurLe collectif du doute

Un an après la CIASE, le bilan du CDD

Un an après le rapport de la CIASE, Mgr Jordy fait le point et le CDD aussi, sur les actions menées par l’Eglise et ses implications. Une lecture évangélique de ces mesures devraient permettre de prendre la mesure de l’ampleur et de la nature des défis à relever.


A l’occasion du premier anniversaire de la remise du rapport de la CIASE, Mgr Jordy a donné une conférence pour présenter un bilan de l’action de l’Eglise en matière de lutte contre la pédocriminalité au sein de l’institution.


Bien qu’il n’ait jamais évoqué la Manécanterie des Petit Chanteurs de Touraine, ni nommé les collectifs impliqués, son intervention est tout de même l’occasion de faire le point sur les questions du CDD restées sans réponses. Après une longue présentation de son parcours - sans intérêt direct, du reste - et des procédures engagées, rien n’a permis de vraiment dissiper les inquiétudes formulées à maintes reprises sur ce site.


Le changement de méthode et la montée en puissance de la cellule d’écoute est cependant un sujet d’encouragement. L’initiative était attendue depuis longtemps. Mais l’apprendre par la presse et non par une réponse à nos courriers est plutôt regrettable. D’après les médias, trois des plaignants sont suivis pas un psychologue. Faut-il attendre un autre article pour en apprendre davantage ? N’est-ce pas une information publique qui aurait pu nous être livrée ?


Maintenant, le travail de prévention amorcé n’a rien de discutable. L’édition d’un guide, la mise en place de formations viennent de façon honorable en écho aux commissions constituées par la CEF [1]. « La protection des mineurs est prioritaire » a-t-on affirmé, mais au-delà des jeunes et de l’avenir, la tache de restauration reste immense. Qu’en est-t-il des majeurs abusés, qu’en est-il de l’abus spirituel dont les ravages sont certainement plus conséquents ? Certes, des commissions y travaillent mais « c’est un long chemin pour l’Eglise et la société » a précisé Mgr Jordy. Reste à se demander si l’on marche dans la bonne direction. Mgr De Moulin Beaufort a précisé, ailleurs, que « les recommandations de la CIASE exigent un travail de fond ». Mais a-t-on vraiment touché le fond ?


Le discours livré au Carmel de Tours ce mardi 27 septembre 2022, à certains égards, a manqué d’une dimension évangélique. Tout semblait être mis en œuvre pour satisfaire, rassurer l’opinion et donner des gages de bonne conduite. Ils ont certes été donnés, c’est bien, mais rien de plus. La vitrine est impeccable sans rien nous laisser percevoir de l’arrière-boutique. Et en ce sens, il n’est resté qu’un écho de l’esprit du monde, sourd à ce cri ancré dans la mission de tout chrétien : « quand va-t-on se préoccuper du salut des âmes ? » Comment sortir du temporel pour initier un regard spirituel et salvateur ? Un Notre Père à la fin ne suffit pas. Une prise de conscience plus profonde serait salutaire pour l’Eglise si elle sortait d’une confusion imposée par les médias dont il revient à chacun de prendre conscience. Il semblerait urgent pour les fidèles de dépasser le stade des bigoteries de la religion cathodique [2].


Les questions liées aux victimes (quelles qu’elles soient) se traitent à plusieurs niveaux qu’il est impératif de bien distinguer, surtout lorsqu’une plainte est formulée. Que ce soit le thérapeutique, le juridique ou le médiatique, chaque domaine a ses principes propres.


La dimension thérapeutique impose de recevoir la parole du plaignant. Dans ce cas, la présomption de vraisemblance (ou de véracité) s’impose. Une personne qualifiée reçoit, aide à formuler une souffrance que la parole libère, reconstruit. Cette dernière est vitale. Celui qui la remet en cause est alors pire que l’agresseur. Là, le slogan « victime, on vous croit » prend tout son sens. Il est chemin de guérison grâce à la confiance instaurée [3]. C’est le lieu de l’intime, du confidentiel, dans la sphère privée.


En revanche, la dimension juridique évolue dans la sphère publique. Le plaignant met un individu en cause. Là, se joue la place de chacun dans la société et rien ne peut se décider sans une commune objectivité. Le principe qui prévaut alors pour maintenir un traitement équitable est la présomption d’innocence, jusqu’aux conclusions de l’enquête et d’un procès éventuel. Avant cela, personne ne peut déclarer l’un coupable et l’autre victime.


La dimension médiatique, quant à elle, ne peut venir qu’après, quand des faits établis sont à communiquer. Là, il est question de présomption d’ignorance. A priori, le public ne sait pas mais a un besoin et un droit à l’information. La presse devient alors un espace de débat, de partage d’opinions pour prendre la mesure des événements et discuter des changements politiques éventuels à opérer, en pleine connaissance de cause. De fait, le pluralisme au fondement de la presse démocratique s’y avère indispensable.


Le télescopage systématique de ces trois dimensions sème aujourd’hui la confusion. Le «psy» s’impose dans la presse à grand renfort de sentiments, les médias s’en emparent pour faire justice et la justice fait comme les « psy ». Quel bazar ! L’Eglise n’a pas su écouter, ni renvoyer aux juges, refusant de voir le mal en son sein [4]. Les plaignants n’ont eu d’autres recours que la presse pour obtenir gain de cause et maintenant, ceux qui doivent rendre la justice cèdent sous la pression médiatique. Ne serait-ce pas salutaire que chacun reprenne sa place ? A qui profite la confusion ?


Il conviendrait de s’interroger sur les intentions de ceux qui persistent à entretenir ce mélange au risque de porter ainsi atteinte aux fondements de notre société, au risque de compromettre le devenir des protagonistes de ces affaires. Au lecteur d’en juger.


En attendant, le souci des âmes ne fait que s’amplifier. Quand dans la presse, on remplace le juge avec la posture du soignant, peut-on vraiment être utile au plaignant ? Si on le conforte dans sa haine, quel salut pour lui ? Appliquer le principe de vraisemblance dans la presse ne revient-il pas à calomnier ? Qui se soucie alors du devenir de l’accusé ? Du reste, quels soins ont été envisagés pour les agresseurs à ce jour ? Qui les soigne ? Silence du côté du diocèse.


Qu’en est-il de ces journalistes qui colportent des propos malveillants, travestissant la réalité, relayant des idéologies déstabilisantes ? Quel devenir ? Qu’en est-il alors de ceux à qui l’on autorise le mensonge en toute impunité ? Qu’en est-il de ceux qui manifestent de la complaisance avec cette culture du bouc émissaire qui en découle ? Chaque lecteur saura, s’il le veut, interroger d’autres situations dans cette atmosphère de perdition des âmes.


L’INIRR illustre et fonde son action à partir d’une parole d’Evangile : « que veux-tu que je fasse pour toi ? » (Marc 10, 46-52) La question est posée à ceux qui demandent réparation. Cet esprit de service est louable. Or, une mise en perspective de ce passage devrait faire réfléchir à la portée missionnaire qui apparemment manque encore dans la concrétisation de la restauration, tout au moins par la médiatisation qui en est faite. (On est bien obligé de se baser là-dessus puisque qu’on refuse de nous répondre).


Près de Jéricho, précise l’évangile de Marc, une voix porte au-dessus de la foule, une « voix libérée ». Elle dérange, alors on rabroue l’importun pour le faire taire. La communauté le bâillonne. Son attitude est déplacée et inconvenante. On ne veut pas l’écouter. Mais, par trois fois, le cri perce en direction du Fils de David, messie et sauveur. Dans le paroxysme de la situation du malheureux, la question du Christ, « que veux-tu que je fasse pour toi ? », invite au dévoilement du cœur profond, du désir intime, du nœud de la souffrance.


Il est des cris qu’aucun homme ne peut entendre, des problèmes qu’aucun homme ne peut résoudre et des douleurs que seul Dieu peut toucher… à condition d’entrer dans une démarche de foi, de s’en remettre à Dieu seul. Là, comme cet aveugle, ce Bartimée, celui qui se tourne vers Jésus, qui crie du fond de la nuit voit son regard passer des ténèbres à la lumière. En libérant la voix, il voit. Le malheureux reçoit une réhabilitation sociale et spirituelle car il s’est tourné vers le vrai libérateur. A ce moment-là, la guérison publique attire la louange du peuple. La démarche de l’INIRR va-t-elle jusque-là ? Invite-t-elle à répondre à l’appel du Christ, avec le soutien de la foule ? La justice restaurative va-t-elle élever la louange du peuple que Dieu habite [5] ?


Il est à craindre que l’évangélisation des profondeurs ne soit pas toujours à l’ordre du jour, surtout quand la vocation de l’Eglise consiste davantage à ouvrir les cœurs que les tiroirs caisses. Voilà pourquoi, fidèle à ses objectifs et ses questions formulées dans son dossier de presse, le CDD repose à ses frères de chant la question de Jésus qui mobilise la foi, qui restaure un homme et, à travers lui l’Eglise, qui demande d’être un nouveau Bartimée, un «Homme nouveau» : « Veux-tu guérir ? »


Après une écoute légitime, une pratique effective de la justice et une communication adaptée, après le respect intégral de leur principe, il revient aux chrétiens d’apporter, nous semble-t-il, une quatrième dimension prophétique.


S’ils veulent prendre le chemin dans la bonne direction, leur contribution pourra alors s’inscrire dans les pas d’un célèbre évêque qui, lui aussi, un jour, au pied d’une institution corrompue, sur le déclin, un sombre système religieux qui avait pourtant eu la Lumière sous les yeux… un évêque, qui, un jour, a croisé un mendiant sur son chemin, un évêque encore à imiter, à contre-courant du monde des idées et des idéologies, un traitre repenti et sans compromis, sans aucune peur, un homme vrai à l’espérance inébranlable… bref, un roc dans toute sa faiblesse : Képhas, l’apôtre Pierre.


Une de ses paroles, à elle seule, résume la mission qui incombe à ceux qui auront autant la voix que la foi libérée : « Je n’ai ni or ni argent, mais ce que j’ai, je te le donne » (Actes 3,6).


On connaît la suite.



NOTES

[1] Sur le site de la CEF, dans les neuf groupes de travail présentés, deux ont particulièrement attiré notre attention. Ils portent sur « l’Accompagnement des prêtres mis en cause (R1) et l’Accompagnement du ministère des évêques (R13,34) » A ce jour, leurs conclusions ne semblent pas rendues. Le Père Tartu reste seul dans l’incompréhension des mesures prises contre lui et l’archevêque aurait certainement besoin d’être accompagné pour éviter de gérer un abus par un autre abus (Cf. lettres à l’Ordinaire et aux prêtres.)

[2] Il serait intellectuellement sain et urgent de sortir de la dialectique simpliste du pour ou contre entre plaignants et accusés, en jetant l’anathème sur toute pensée divergente. L’absolutisation médiatique de la parole des plaignants relève d’une forme de fanatisme fondé sur une confusion de différentes approches du problème développées dans cet article. « Ecouter » la victime comme veulent le faire l’Eglise et les médias ne signifie pas donner raison sur tout. A l’inverse, dénoncer les mensonges proférés contre la Manécanterie ne constitue pas automatiquement une négation des douleurs et des abus mais la simple expression, pour tout citoyen, d’un besoin de comprendre légitime qui doit passer par un respect du droit et de ses procédures, seul moyen d’espérer obtenir la vérité nécessaire.


[5] Psaume 22,4.


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