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Photo du rédacteurLe collectif du doute

Faux dilemme autour des Voix Libérées

« Je ne suis ni pour, ni contre. » Cette réponse, plusieurs fois entendues au sujet des Voix libérées par d’anciens petits chanteurs, permet d’afficher une neutralité de réserve, peut-être légitime, qui a pourtant l’inconvénient de réduire le problème de cette affaire à deux avis antagonistes. Et si une approche plus scientifique permettait de sortir de cette opposition peu fructueuse ?

CQFD : Ce Que Favorise le Doute

« C’est un pédocriminel ! » Sous toutes ses formes, le public a entendu cet avis ad nauseam en côtoyant les journaux… et les courriels des Voix Libérées. Leurs investigations ont été si bien menées qu’on aurait pu ajouter, tant qu’à faire, que le Père T. assurait du trafic de matières illicites durant tous ses voyages grâce à son infirmerie… et qu’il était un agent double pour le compte du Vatican. Pourquoi pas ? De nombreux indices permettent d’aller aussi dans ce sens : ses nombreux contacts à l’étranger, avec le monde pharmaceutique, un ancien militaire issu d’une unité d’élite à ses côtés, etc.


Voilà des révélations qui ouvrent des perspectives nouvelles. Quelle posture adopter alors ? Faut-il les prendre pour argent comptant ? Est-ce raisonnable d’en rester au « peut-être », « je ne sais pas »… et à mesure que le scandale détonne, s’installer dans une posture manichéenne en face d’un rapport de force entre deux partis : pour ou contre, vrai ou faux, d’accord ou pas d’accord… ? A voir…


Face au flot des avis, des commentaires et des déclarations, il est toujours possible de rester circonspect, littéralement, de regarder autour (du latin circum specto), de s’avancer dans une observation du phénomène… s’autoriser l’interrogation, entrer plus activement dans une quête au cœur du problème, soit quêter à l’intérieur, in-quérir… enquêter, tout simplement. L’affaire des Voix Libérées invite alors à ex-traire le « caché », tirer en dehors les fils de cet écheveau d’incohérences, cet entrelac d’invraisemblances, et sortir de ce plexus l’inaccessible à première vue, en somme tenter d’ex-pliquer [1].


De prime abord, l’hésitation entre deux choses, la possibilité de deux voies, de voir en «duo», une « duocité » en quelque sorte, conduit normalement au « doute [2] » qui, lui, s’oppose à l’un, l’univocité et toute forme dogmatique. En cela, le doute autorise à envisager une réalité seconde, à être sceptique, à exercer un examen critique, certes, mais pour comprendre.


Douter préventivement, comme un prérequis pour parvenir à la vérité, non sans tomber dans le pyrrhonisme (en tant que recherche de l’ataraxie). Douter pour se méfier des conclusions trop hâtives. Douter en somme pour examiner, peser, réfléchir… et, dans ce cas, le doute est un art qui porte un nom : la zététique.


Le doute est un art qui porte un nom : la zététique.

Tirée du grec zêtein (« chercher »), la zététique est le bras outillé de la posture philosophique du sceptique. Elle désigne le zététicien comme un chercheur de vérité qui analyse, décortique et ne tire pas de conclusion avant d’avoir tout examiné, « en quête » d’une explication tangible à ce qui sort de l’ordinaire. Remise à jour dans le domaine scientifique par les travaux d’Henri Broch [3], cette « boîte à outils scientifique » aide à se forger un esprit critique et encourage à « l’autodéfense intellectuelle [4] » (N. Chomsky). L’art du doute est alors à comprendre comme l’ « ars » médiéval (habileté de métier), un « savoir-faire » didactique qui permet la réflexion et l’enquête critique, quel que soit le domaine.


Il doit à la science sa valeur étymologique qui renvoie au latin scire, c’est-à-dire « trancher », non seulement entre le vrai et le faux mais surtout entre la connaissance et la croyance. Trop de discours frauduleux inondent l’espace public pour ne pas développer, activer, son esprit critique face aux croyances qu’ils génèrent.


Cette prudence, mère de sûreté, qui consiste à ne tenir pour vrai que ce qui aura été vérifié comme étant vrai (et non vraisemblable) se traduit à travers plusieurs principes transposables à l’affaire des Voix Libérées, sans pour autant se revendiquer d’un courant, d’un groupement lié au terme de zététique.


Le code civil lui-même énonce son actori incumbit probatio : la preuve incombe à celui qui prétend [5]. Une allégation extraordinaire, comme les accusations de quelques chanteurs contraires au vécu d’un grand nombre, nécessitent une preuve plus qu’ordinaire [6]. Personne n’est tenu de donner crédit à une accusation basée sur de lointains souvenirs.


De fait, autres principes transposables, la bonne foi n’est pas un argument ; un mot écrit n’est pas auto-validant ; le possible n’est pas toujours possible [7] ; la force d’une croyance peut être immense… attention au mythe de la solution simple et unique.


Mais que faire de la convergence d’avis allant dans le même sens ? Plusieurs témoignages semblent concorder. Malheureusement, si chaque déclaration ne constitue qu’une demi-preuve faute de corroboration, toutes les déclarations ne feront pas une preuve entière. La quantité ne fait pas la qualité. « Les preuves sont comme les poires : deux poires médiocres ne font une bonne poire, à la rigueur, une compote « (Henri Broch [8]). En ce sens, les «convergences» de Mgr Jordy dénuées de toute rigueur intellectuelle ne sont pas recevables.


La zététique invite à veiller à l’origine des sources, à la compétence de l’informateur. Il convient de croiser l’information, de s’assurer de sa fiabilité, surtout à l’heure de l’inflation de sensations au détriment de la raison, cédant à la séduction de la simplicité. Or, une recherche de vérité s’avère toujours difficile, exigeante et pleine de pièges ou de malentendus. La neutralité peut-elle légitimement dispenser de cet effort ? Doit-on croire une version sur la base de la vraisemblance ou encore d’une simple sensibilité ? N’est-il pas capital de distinguer dans ses choix ce qui relève de la raison et ce qui doit être admis comme une croyance, qu’elle soit volontaire, par défaut ou par délégation ? S’interroger alors n’est pas prendre parti.


La zététique en tant que discipline universitaire apprend à s’armer contre les mauvais jugements qui résultent des imperfections de notre entendement, à se méfier des conclusions hâtives que l’intuition inspire, surtout, à douter de soi quand on croit avoir raisonné correctement. Ce que je sais relève-t-il d’une connaissance ou d’une croyance ? Il peut s’avérer utile de tester les croyances, d’évaluer la vraisemblance avant d’avoir un avis... ou ne pas vouloir en avoir un – ce qui est déjà un avis. Force est de constater, dans ce sens, l’inaction de beaucoup face à la déferlante d’idées reçues sur la pédophilie dans l’Eglise calquées dans l’affaire des Voix Libérées. Il convient même d’en appeler au scepticisme face à l’expression « présomption de vraisemblance » de l’INIRR. Le terme de jurisprudence entend par présomption ce qui est supposé vrai jusqu'à preuve du contraire. Comment supposer vrai… le vraisemblable ? Soyons sérieux ! Va-t-on chercher ensuite les preuves du vraisemblable [9] ? Même toutes les autres définitions [10] conduisent à la même idée : faire apparaître les apparences… des apparences. Convaincant !


Tant qu’à réfléchir à partir d’un a priori, s’il faut avoir des préjugés, l’honnêteté aurait davantage voulu que l’on appliquât la méthode bayésienne [11]. En lieu et place de vraisemblance, la plausibilité dans un jugement par inférence serait certainement plus profitable qu’une simple référence statistique sur le nombre de menteurs qui déposent plainte, sans que l’on sache du reste la part de faux souvenirs chez tous les plaignants… évidemment sincères. (Cf. dernier article sur les faux souvenirs)


Un travail d’enquête sérieux devrait donc mettre en concurrence toutes les hypothèses au lieu de s’acharner à démontrer que la vraisemblance à toutes les raisons… d’être vrai.

Un travail d’enquête sérieux [12] devrait donc mettre en concurrence toutes les hypothèses au lieu de s’acharner à démontrer que la vraisemblance à toutes les raisons… d’être vrai. Cette approche a déjà condamné de nombreux innocents [13]. La vraisemblance de résultats ne vaut pas la plausibilité d’une hypothèse [14] contre une autre, pour évaluer des niveaux de crédibilité. Que vaut vraiment dans la balance l’hypothèse de la pédocriminalité face à celle des faux souvenirs, celle de la croyance collective, de l’aveuglement idéologique, du règlement de compte… et - admettons en toute honnêteté intellectuelle cette autre hypothèse - du mensonge des plaignants. Là, la thèse du contre-espionnage du Père T. au Vatican n’a pas moins de valeur. La mise en regard de toutes ces possibilités au fil des dépositions devrait faire évoluer les curseurs, considérant qu’il paraît toujours plus raisonnable d’utiliser le « Rasoir d'Ockham » : le principe de parcimonie qui consiste à privilégier les hypothèses les plus plausibles. En somme, rechercher la probabilité des causes par les événements [15] reste encore le mieux à faire.


Dans sa boîte à outils, la zététique laisse à disposition des repères, des indicateurs pour dépister ou se prémunir d’éventuelles erreurs. Elle offre dans le traitement de l’information une liste d’effets visibles utile pour interroger nombre de situations et de résultats suspects. Quelques évidences peuvent aiguiser le jugement et éviter de rester passivement à distance.


Commençons par l’effet Othello. Comme pour le personnage de Shakespeare, la façon d’ordonner des arguments dans une histoire est un moyen de convaincre davantage. Le récit accentue la crédibilité et peut faire aboutir à une conclusion improbable au départ… mais qui va s’avérer possible, voire vraie, en raison, justement, du récit qui y mène. Raconter suffit parfois à rendre crédible. Ne suffisait-il pas de raconter une histoire similaire à celle du Père Preynat pour que l’on crût à celle du Père T. ? (Cf. Dossier de presse, page 6)


Autre effet rhétorique : l’accentuation imaginaire. Choisir d’emblée un terme à forte charge imaginaire et affective est un procédé bien connu. L’effet attendu chez l’auditeur ou le lecteur consiste alors en une association presque pavlovienne, un déclenchement de réflexe conditionné, qui précèdent toute forme d’analyse rationnelle du discours, un passage en force d’une conclusion avant (ou sans) démonstration. Le courrier du meneur des Voix Libérées en est un bon exemple. Il suffit d’y relever la récurrence des propos calomnieux pour en être convaincu.


Peut alors s’ajouter l’effet Panurge ou l’argumentum ad populum. Là, l’avis de la masse fait poids. Le sentiment favorable d’un nombre grandissant de gens, la résonnance donnée par la presse (surtout si la majorité se tait) se substitue à la preuve. « Autant de gens ne peuvent se tromper » va-t-on alors spontanément se dire. Il est alors plus facile de se conformer à la majorité par mimétisme… ou peur de l’ostracisme. Les articles répétés de la Nouvelle République, ses micro-trottoirs pour recueillir l’avis de personnes mal informées, les appels à témoignage comme si d’autres allaient se joindre au collectif, la croissance de soutiens annoncés… tout participait d’un même effet.


Il est du reste proche du « bandwagon effect ». Lors d’un événement grave, chaque individu cherche des signes, des indications dans l’attitude de ses semblables afin de choisir l’action appropriée. Il prend différents aspects : l’argument de majorité (qui n’a pas toujours raison), l’argument du gratin (on peut se rallier à l’avis des autorités, et Mgr Jordy, tant qu’à faire), l’argument du bon sens du peuple ou encore l’appel à témoignage, ce que les Voix Libérées ont plus que tenté en prospectant dans la région d’Amboise. Mais rien ne permet de constituer une preuve.


S’il fallait prêter une rationalité aux déclarations des plaignants et de la presse, elle pourrait s’inspirer du raisonnement panglossien qui argumente à rebours pour remonter à une cause possible, vers un scénario préconçu. Les faits ne sont pas exposés et par conséquent l’origine des troubles ou sentiments d’abus ne peut remonter qu’à un abuseur. Or, plusieurs savent très bien que d’autres abus émaillent l’histoire de certains plaignants et avec lesquels le Père T. n’a rien à voir. Autrement dit, il n’est pas possible de réduire la complexité d’un phénomène à ses propres moyens de compréhension : n’avoir à sa disposition qu’un marteau ne fait pas de tous les problèmes des clous. Voilà, en outre, une approche qui n’est pas sans rappeler l’histoire de la Dent d’or de Fontenelle. Les journalistes et le meneur des Voix Libérées auraient peut-être dû s’assurer des faits avant d’échafauder des commentaires et de nourrir un imaginaire. Pour tout un chacun, il est facile de se laisser emporter par la vague, ou de rester à terre, tant il semble impossible de surfer.


Aussi, toute information et toute considération doivent passer par le tamis de la réalité, le cerveau humain n’étant pas le plus approprié pour en prendre toute la mesure. Le sociologue Gérald Bronner, spécialiste des croyances a consacré ses récents ouvrages à l’invasion de la crédulité sur le marché de l’information. Sa croissance exponentielle sans précédent est révélatrice d’une révolution inédite dans laquelle l’hypermodernité finit par composer avec le fonctionnement ancestral du cerveau humain.


L'éditorialisation de l’information se fonde principalement sur des biais cognitifs.

Dans le nouvel espace numérique du savoir, jamais autant d’information n’aura été disponible, jamais l’homme n’aura, dans son histoire, eu de disponibilité mentale aussi grande… et dans ce marché fondé sur la libre concurrence la plus dure, tout est mis en œuvre pour capter l’attention, parts de marché publicitaire obligent. Les algorithmes n’ont donc d’autres buts que d’« hameçonner » l’attention en sollicitant les parts sombres de l’homme, en stimulant les obsessions de l’espèce humaine, en flattant les pentes les moins honorables de l’esprit. En somme, l’éditorialisation de l’information se fonde principalement sur des biais cognitifs [16] hérités de l’évolution, mais plus que jamais actifs dans l’espace public. Elle rend ainsi chacun spectateur d’une "apocalypse cognitive" [17], en d’autres termes d’une grande révélation de l’homme dans ce qu’il peut comporter de pire… et plus rarement de meilleur.


Dans cette lutte des places médiatique, l’important n’est plus la vérité, mais la visibilité. A été dévoyé, par conséquent, ce qui devrait être un lieu de libre circulation et de concurrence des idées imposant le progrès du savoir. L’autorégulation initialement espérée sur le marché cognitif n’a pas eu lieu, le jeu des algorithmes donnant la part belle aux plus actifs, aux plus militants, finalement surreprésentés par la surproduction de leurs interventions. Les idées farfelues et idéologies en tous sens y prospèrent facilement, librement, sans régulation. Paradoxalement, l’anomalie, l’anomique est presque devenu la norme au point d’accroitre toutes les formes de croyances.


Malheureusement, ces représentations disproportionnées sont désormais perçues comme de la représentativité aux yeux de tous, mais surtout des décideurs, des politiques, ou encore des médias qui, pour éviter d’être à la traine, finissent par indexer leur offre sur une demande supposée - en grande part sur les réseaux sociaux. Force est de constater que les gens «raisonnables» ont perdu la bataille de la visibilité, tout cela à cause de ce jeu avec les invariants mentaux, ces biais cognitifs trop souvent provoqués qui conduisent plus intuitivement à des conclusions souvent fausses, sans démarche rationnelle.


Ces « raccourcis » intellectuels mènent à des erreurs qui pourtant façonnent les opinions et la façon de penser ou de juger les événements.

Ces « raccourcis » intellectuels stimulés chez les visiteurs de la toile mènent à des impasses, des erreurs qui pourtant façonnent les opinions et la façon de penser ou de juger les événements. Certains sont éclairants sur des attitudes constatées en réponse à l’écho des Voix Libérées dans l’espace public. A chacun, honnêtement, de discerner par quel chemin de traverse il a pu se perdre.


Le biais de confirmation pousse à aller chercher des informations qui consolideront son jugement premier. La démultiplication des offres sur internet, des propositions allant dans le même sens forment un « mille feuilles argumentatif » qui conduit à un enfermement dans un seul point de vue, souvent sans nuance.


Le biais de négativité incite toujours à s’intéresser aux mauvaises nouvelles. L’homme est attiré par les mauvaises nouvelles. Un journal qui ne diffuse que de bonnes nouvelles ne peut pas survivre.


La rationalisation, ou le mécanisme d’auto-défense du « rationalisateur » qui peut créer un récit impossible pour justifier l’injustifiable. La logique camoufle alors « à l'insu de celui qui l'utilise, les vrais motifs (irrationnels et inconscients) de certains de ses jugements, de ses conduites, de ses sentiments, car ces motifs véritables ne pourraient être reconnus sans anxiété [18] ». Le déni sert alors à justifier ou cacher des erreurs, des faiblesses ou des contradictions que nous ne voulons pas accepter ou que nous ne savons pas gérer.


Point n’est besoin de faire la liste des quelques 180 biais recensés [19]. En somme, chaque parcelle de l’espace médiatique, chaque territoire du marketing cognitif est principalement envahi par trois entrées : la peur, le conflictuel, ou le sexe. Comment les Voix libérées ne pouvaient elles pas trouver d’audience au croisement de ces trois penchants en attirant le scandale autour de l’enfance bafouée, de la colère et de l’abus sexuel, appuyé par une campagne de dénonciation d’antécédents criminels dans le clergé. Ce genre de sujet largement relayé n’avait-il pas déjà envahi l’espace médiatique ?


Dans ce grand jeu de concurrence déloyale, chaque consommateur est soumis à une forme d’intimidation intellectuelle destinée à convaincre les indécis. Mais face à ce spectacle de l’illusion qui renforce l’emprise de l’imaginaire, dispose-t-on d’assez de résilience ? Quand le vraisemblable l’emporte sur le vrai, il est évidemment couteux, pénible ; mentalement énergivore de lutter contre ces(ses) propres biais. Cet océan de sollicitations peut laisser le sentiment d’évoluer en eaux troubles. Or, seule la raison reste le gouvernail disponible pour naviguer dans la mer des incertitudes entre faits et phénomènes, quand la neutralité passive laisse partir à la dérive.


Ramer à contre-courant des idées reçues, des tendances « algorithmiques » revient à refuser ce divorce entre l’intérêt général et une opinion publique de plus en plus gagnée par l’irrationnel des avis, autant minoritaires qu’infondés.


Dans cette curieuse "démocratie des crédules" [20] où les plus actifs votent (produisent du contenu) largement plus que les passifs, Nietzche apparaît comme le prophète de mauvaise augure. Pour lui, un jour, « le goût du vrai disparaîtra à mesure qu’il garantira moins de plaisir.» [21] N’en revient-on pas à déclarer vraies les idées qui nous plaisent et pas celles à reconnaitre comme vraies ?


Dans un déni de la réalité parfois sidérant, une négation de la raison, une inversion des valeurs, une culture de l’effacement, un refus de la neutralité du droit… les luttes intersectionnelles prospèrent sans aucune contradiction majeure dans cet espace. Tout passe à la cuisine Woke [22] et, dans une même sauce, mijotent toutes les causes à scandale : discrimination, abus, racisme… Un parfum de susceptibilité s’en dégage et se diffuse dans l’air du temps, le délétère du temps. Un totalitarisme d’atmosphère [23] invite à la censure, au boycott, au déboulonnage, l’intolérance à la diversité des arguments, la disqualification… en imprégnant la société. [24]


Et le dessert est toujours le même : la diabolisation et « l’invisibilisation » des adversaires, l’ostracisme, le refus du dialogue, l’annulation pour éradiquer l’offensant, le pilori contestant la présomption d’innocence… le mal venant toujours a priori du système fondamentalement vicié et devenu illégitime.


Cette pensée woke reproduit un mécanisme psychologique bien connu à l’échelle individuelle : un renversement de valeur construit sur une accusation perverse et toxique de la culpabilité permanente et de victimisation définitive. Les Voix libérées nous y ont habitués. Dans une vision, voire une division, binaire [25], primaire du monde, le dominé prend le pouvoir sur le dominant, le détruit, s’arroge ses droits. Cette idéologie prospère par la peur, la peur d’être du mauvais côté qui ne laisse pas d’alternative : adhérer ou mourir symboliquement. Quel scandale de ne pas avoir donné un crédit aux plaignants ! De fait, qui aurait osé laisser un espace de parole au Collectif du Doute ? Qui ose le dialogue ? La presse, Mgr Jordy ? Personne. La toute-puissance est accordée à la victime. Tout raisonnement contraire frise l’indécence. En attendant, renouant avec la culture du bouc émissaire, l’Eglise elle-même a inclus dans son langage la notion de « mal systémique » directement inspirée de ces outils sociologiques universitaires de la lutte [26].


Parti du multiculturalisme, le wokisme a dérivé vers le communautarisme identitaire pour virer ensuite vers une forme antidémocratique. Cette régression civilisationnelle condamne ses partisans, comme pour toute autre croyance abusive, à une déchéance de rationalité [27]. Son puritanisme inspiré des pratiques religieuses d’outre-Atlantique [28] a trouvé un terreau fertile dans les réseaux sociaux qui ne font qu’en décupler la croyance, la violence et son caractère fanatique. Ces nouveaux convertis s’engagent à corps perdus [29] sur un chemin subjectiviste prosélyte particulièrement risqué en avançant, à leurs risques et périls, le nez dans le guidon des particularismes sans jamais regarder l’horizon de l’universel. La chute est inéluctable… mais à quel prix [30].


Une démocratie en danger.

En attendant, la République se trouve confrontée à son pire ennemi : la peur. La peur déguisée en prudence, en pondération, en modération, en réserve, en impartialité, en fausse empathie... Les minoritaires échauffés n’y prospèrent que quand les frileux sont au pouvoir. Or, l’autocensure par soucis de confort ou de tranquillité est une condamnation à mort de la liberté. « Pire que le bruit des bottes, le silence des pantoufles » disait Max Frisch. En démocratie, le droit de dire, de s’exprimer est aussi un devoir de faire valoir la vérité. La liberté n’y est pas le droit de dire n’importe quoi mais la jouissance active de dire et penser ce qu’on veut dans un débat constructif, ou sans cesse à reconstruire. Vivre en démocratie revient à s’engager en faveur de la liberté [31]. Croire qu’elle n’est pas à défendre revient à en sonner le glas [32].


Une tension, une lutte, une dispute que l’on étouffe ne sera jamais pacifiée mais toujours entretenue. En revanche, quand chaque opinion est élevée au rang d’argumentaire, un combat transmué en débat s’avère une œuvre de liberté collective. Encore faut-il vouloir construire un argumentaire. Encore faut-il y reconquérir sa place. Le refus d’entendre le Collectif du Doute peut-il avoir vocation à dissiper les tensions ? Raisonner est-il encore possible dans cette affaire ?


La démocratie laisse croire que l’égalité de droit vaut égalité de compétence. Chacun y va alors de son commentaire, se fait juge et les arguments ad hominem pullulent sur la toile pour décrédibiliser, sans aucune perspective constructive. Et en définitive, la démocratie s’en trouve finalement d’autant plus menacée qu’elle constitue avant tout l’espace de construction d’une rationalité collective. Dans ce cas, la tyrannie, pour s’imposer, sait toujours profiter de l’apathie des gens de bien et de raison [33]. Le mal n’a pas besoin d’autre chose que de l’inaction des gens de bien pour s’imposer.


Dans cette perspective, revendiquer la zététique, c’est éthique. La confusion n’est pas acceptable entre la foi et le « remport d’adhésion ». L’une doit être lucidement entendue comme une croyance quand l’autre est le résultat d’une chaine de raisonnements rationnels étayés par des faits. Attention, l’enfer est certes pavé de bonnes intentions, mais il est aussi tapissé de bonne foi. Une position, un point de vue, une opinion ne suffisent pas. Et l’absence d’avis encore moins. Jamais un retour à l’homme des cavernes ne pourra constituer un progrès, aussi grandes les avancées technologiques soient-elles.


Aucun régime politique, et la démocratie de surcroît, ne peut fonctionner tant que les citoyens restent mus (voire muets) par leurs passions, leurs penchants, leurs désirs, leurs «impressions», leur sensibilité… Il ne suffit pas, du reste, qu’ils souscrivent à une même loi extérieure, il leur est nécessaire de régler leurs sentiments par la raison afin de devenir libres et responsables. Ainsi, l’homme sera utile à l’Homme et à son bien commun.


Alain, pour qui le doute est « le sel de l’esprit », ouvre un chemin pour qui veut préserver ou retrouver une noblesse d’esprit : « Penser, c’est dire non. Remarquez que le signe du oui est d’un homme qui s’endort ; au contraire le réveil secoue la tête et dit non. Non à quoi ? Au monde, au tyran, au prêcheur ? Ce n’est que l’apparence. En tous ces cas‐là, c’est à elle‐même que la pensée dit non. Elle rompt l’heureux acquiescement. Elle se sépare d’elle‐même. Elle combat contre elle‐même. Il n’y a pas au monde d’autre combat. Ce qui fait que le monde me trompe par ses perspectives, ses brouillards, ses chocs détournés, c’est que je consens, c’est que je ne cherche pas autre chose. Et ce qui fait que le tyran est maître de moi c’est que je respecte au lieu d’examiner. Même une doctrine vraie, elle tombe au faux par cette somnolence. C’est par croire que les hommes sont esclaves. Réfléchir, c’est nier ce que l’on croit. Qui croit ne sait même plus ce qu’il croit. Qui se contente de sa pensée ne pense plus rien [34] (…). »


Ainsi, considérer que le « paraît vrai » n’est pas le signe du vrai, c’est accepter que le point d’interrogation ne soit pas seulement une marque d’ignorance mais plutôt une marque de sagesse. « L’homme sage proportionne sa croyance aux preuves » disait Hume [35]. L’invitation du zététicien, en somme, à devenir cet homme, revient alors à reprendre à son compte la devise de Spinoza : « Ne pas railler, ne pas maudire, mais comprendre. »


Malheureusement, le « ni pour-ni contre » impose deux, et seulement deux, alternatives antagonistes qui enferment la réflexion. Cette position conduit à imposer deux réalités : culpabilité ou innocence, mais encore victime ou affabulateur. L’un ment, l’autre pas. Ce raisonnement fallacieux conduisant à présenter deux solutions au problème, comme si elles étaient les deux seules options possibles, est un faux dilemme [36]. Cette mise en contradiction factice des alternatives, qui n’ont pas lieu d’être, est un piège. Il conduit systématiquement à la condamnation. Et si la réalité était plus complexe et offrait des perspectives plus heureuses ?


Précisons par ailleurs, qu’il serait stérile d’aller chercher dans cette approche, avec un esprit manichéen, une dialectique stérile opposant foi et raison [37]. L’un ne combat pas l’autre, mais doit lui redonner sa juste place dans une hiérarchie des savoirs [38]. Dans toutes les déclarations accumulées, il revient simplement aux plus courageux d’interroger les raisons de croire… et de croire que chacun a ses raisons (bonnes ou mauvaises).


Là, le doute pourra enfin être un hommage rendu à l’espoir [39].


Tout un programme d’ouverture au réel en une simple formule : Libérer la voix c’est bien, mais comme l’aurait dit Lao Tseu, trouver la voie, c’est encore mieux.


NOTES

[1] « Expliquer » est un emprunt savant au latin explicare « dérouler » et « déployer, développer », au propre et au figuré, préfixé en ex- qui indique l’action inverse de celle qu’exprime le verbe simple plicare. Ce verbe est un intensif de plexere « tresser, enlacer », surtout employé au participe passé plexus (« entrelacement, enlacement » venant de plectere « rouler, tresser, tordre »), au propre comme au figuré, « embrouillé, ambigu ». Alain Rey, dictionnaire historique de la langue française, Le Robert.

[2] Douter est issu par évolution phonétique du latin dubitare « hésiter entre deux choses, être indécis », dérivé de dubius « hésitant, indécis » et, pour une chose, « incertain », dérivé de duo (deux). Alain Rey, dictionnaire historique de la langue française, Le Robert.

[5] « Autre biais, non des moindres, qui accentue ce complexe de la perle rare : l’appel à l’ignorance, ou ad ignorantiam. Cette forme de faux dilemme consiste à poser que puisque l’inexistence d’une chose n’est pas prouvée, on peut déclarer qu’elle est vraie. Ceci est non seulement en contradiction avec un scepticisme raisonnable, mais est par ailleurs un cas flagrant de renversement du poids de la preuve : alors que c’est à celui qui affirme de démontrer son propos, l’interlocuteur, en affirmant qu’elle est vraie, sous-entend « et prouvez-moi que c’est faux ». On retrouve ce sophisme dans les phrases type : «Prouvez-moi que l’homéopathie ne marche pas ». Richard Monvoisin, Pour une didactique de l’esprit critique, Zététique & utilisation des interstices pseudoscientifiques dans les médias, Thèse co-dirigée par les Prs. P. Lévy & H. Broch, Soutenue le 25 octobre 2007, université Grenoble 1. Page 44.

[6] A ce titre, la réclamation des aveux du Père T. dans la presse est significative. Au lieu d’apporter des preuves, on demande des aveux. Cette inversion des rôles insistante est plusieurs fois revenue. Elle revient à exiger de l’accusé qu’il apporte les preuves de sa culpabilité… et s’il ne le fait pas, sa mauvaise volonté prouve alors sa culpabilité. Stalinien !

[7] « Nous nous retrouvons avec la critique classique de Popper. Le piège cognitif du faux dilemme est une menace permanente à ce stade de réflexion. Ce n’est pas parce qu’on ne peut montrer l’impossibilité que la chose est statistiquement possible. Broch le résume ainsi : « la non-impossibilité n’est pas un argument d’existence » (Broch, ouv.cité, p. 179) En allant plus loin, « ce n’est pas parce qu’une chose est possible qu’elle est probable ». Broch y dédia également une facette : « possible n’est pas toujours possible », en prenant soin d’expliquer en cours qu’il est important de distinguer la possibilité logique de la possibilité physique. » Richard Monvoisin Pour une didactique de l’esprit critique, Zététique & utilisation des interstices pseudoscientifiques dans les médias, Thèse co-dirigée par les Prs. P. Lévy & H. Broch, Soutenue le 25 octobre 2007, université Grenoble 1. Page 80.

[8] Cité page 45, dans Richard MONVOISIN, Pour une didactique de l’esprit critique, op. cit.

[9] Raisonnons jusqu’au bout : cette position conduit à la nécessité d’affirmer l’existence de ce qui n’existe peut-être pas. Mais, si ça n’existe pas, quelles indices pourrait-on trouver dans l’existant pour constituer les preuves de son existence ? Impasse absurde. Les chances d’accusations infondées étant de plus en plus grandes dans un contexte d’impunité de faux témoignages, les chances d’erreur judiciaire et de jugement deviennent catastrophiques.

[13] Pour contrer le « sophisme » du procureur, Christophe Michel, sur sa chaine hygiène mentale, démonte une erreur judiciaire dans l’affaire Sally Clark à la lumière de la méthode bayésienne et, au passage, démontre étonnamment par les mathématiques le bien-fondé de la présomption d’innocence. Les leçons qu’il en tire sont à mettre à profit : Mettez en compétition les différentes hypothèses ; Prenez en compte vos aprioris ; Évitons les opinions dogmatiques ; Raisonnez en termes de niveaux de preuve ; Ayez un peu de charité intellectuelle. Gageons seulement que personne ne se reconnaitra dans la définition de « l’abruti » qu’il propose.

[14] Chaque hypothèse doit faire l’objet de méfiance. Ne pas se fier aux apparences. Quand j’ai raison, je sais que j’ai raison parce que j’ai d’abord vérifié que je n’avais pas tort. « Il n’est pas désirable d’admettre une proposition quand il n’y a aucune raison de supposer qu’elle est vraie. » (Bertrand Russel)

[15] Pierre Simon Laplace, La probabilité des causes par les événements, 1774.

[16] « Les notions d’heuristique et de biais cognitifs sont initialement rattachées aux études menées par Amos TVERSKY et Daniel KAHNEMAN, qui proposent un modèle de rationalité limitée de la pensée humaine. Ils mettent en exergue que certaines décisions des individus sont le fruit d’une part d'irrationalité et ce, du fait des heuristiques. Selon eux, la pensée humaine a recours inconsciemment à des raccourcis cognitifs lorsqu’elle est en situation d’incertitude ou de jugement complexe, de sorte que des opérations intuitives et rapides sont formées. Ces opérations permettent de simplifier l’estimation et la prédiction des valeurs ou des probabilités, mais peuvent être à l’origine d’erreurs de jugement qui sont formées par des biais cognitifs. En effet, lorsque la réalité est déformée par ce processus rapide et intuitif de décision, elle n’est pas à l'abri de distorsions de la pensée. […] Façonnés par une multitude de facteurs extra et intra-individuels, les biais cognitifs sont relatifs à la subjectivité de chacun des individus. » Marine Magadoux. L’influence des biais cognitifs dans le processus judiciaire. Sciences de l’Homme et Société. 2022. dumas-03716615

Cf. D. Kahneman et A. Traversky, Judgment under uncertainty: heuristics and biases. Cambridge University Press, 1982, p.79-88. / D. Kahneman, Thinking fast and slow, Allen Lane, 2011. / L. Kaufmann, F. Clément, La sociologie cognitive, La Maison des sciences de l’homme, 2011, p.7.

[21] « Le goût du vrai va disparaître au fur et à mesure qu’il garantira moins de plaisir ; l’illusion, l’erreur, la chimère vont reconquérir pas à pas, parce qu’il s’y attache du plaisir, le terrain qu’elles tenaient autrefois : la ruine des sciences, la rechute dans la barbarie en seront la conséquence immédiate » Nietzsche, Humain, trop humain, 1878, paragraphe 251.

[22] « Le wokisme est une idéologie qui perçoit la société occidentale comme étant fondamentalement régie par des structures de pouvoir, de hiérarchie de domination, des systèmes d’oppression qui ont pour but d’inférioriser l’Autre, les minoritaires sous toutes ses formes par des moyens invisibles. Le woke, l’éveillé à cette réalité, se donne pour mission de conscientiser les autres à cette réalité cachée, que lui aurait perçue. » Pierre Valentin, L’idéologie woke, fondapol.org, Juillet 2021. Tome 1, Anatomie du wokisme / Tome 2, Face au wokisme.

Voir leur recension sur le livre Woke Fiction de Samuel Fitoussi : comment combattre l’immixtion du wokisme dans les institutions ? Pas étonnant, via les divers médias, que ces nouveaux « paradigmes » gagnent du terrain au sein de l’Eglise.

[25] Elle se retrouve aussi dans la réaction manichéenne (bien/mal ; pour/contre ; gentils/méchant…) très réductrice de ceux qui ont considéré d’emblée, sans avoir lu ses argumentaires, le Collectif du Doute comme un comité de soutien du Père T. La formule « la honte doit changer de camp » l’illustre aussi. Seules deux positions sont ici concevables, pas plus.

[26] Du reste, la « mosaïque » de Marseille dans le récent discours du Pape François à la cité phocéenne laisse perplexe sur ce qui ressemble à une ouverture au multiculturalisme. A explorer.

Petite approche théologique. Un certain type de protestantisme américain a pu donner naissance ou favoriser l’émergence de ce mouvement de pensée. La notion de péché chez des théologiens du début du XXe siècle est la copie conforme du crédo woke : Le péché n’est pas un acte particulier mais un fait collectif. Certains ont conscience, d’autres pas, d’être pris dans ce système. Certains ont la révélation… et doivent « éveiller » les autres à cette réalité pour le salut des âmes. Le wokisme s’inscrit donc dans une continuité historique en tant que révolution religieuse. Face au monde païen de l’antiquité, l’arrivée du Christianisme alla à contre-courant des croyances admises : Dieu se fait enfant, faible, se laisser tuer, crucifier… Une fascination pour la faiblesse s’enracinait dans l’évangile : les premiers seront les derniers…, ce que vous aurez fait au plus petit…, tendre l’autre joue, etc. Dieu abandonne son troupeau pour une brebis égarée à ramener. Cette fascination pour la faiblesse perdure dans le wokisme mais en direction des victimes, toutes des brebis égarées - sans troupeau ; ce qui reviendrait, sinon, à encore exclure. Mais, cet éloge de la faiblesse renoue avec l’éloge de la force de l’ancien monde païen. Le woke devient alors le « chevalier servant » du plus défavorisé. Malheureusement, dans ce monde, fait seulement de gentils et de méchants, les uns ne peuvent pas pêcher et les autres inversement, ne peuvent que pêcher. Le chevalier est donc voué à oppresser… l’oppresseur. Aussi, si le wokisme est une religion, elle est alors sans pardon et sans rédemption possible. Or, comme le rappelait Soljénitsyne, « La ligne de partage entre le bien et le mal ne sépare ni les Etats ni les classes ni les partis, mais traverse le cœur de chaque homme et de toute l'humanité. » (Alexandre Soljénitsyne, L'Archipel du Goulag, 1918-1956 : Une expérience d'investigation littéraire, Livres III-IV.) La compatibilité avec le Christianisme n’est pas possible.

[29] « A corps perdu », c’est le cas de le dire dans la mesure où dans la théorie du genre – en dehors du sujet de cet article - appartenant au wokisme, seule compte la conscience, et pas le corps, un peu dans la lignée de la gnose marcioniste. La revendication de l’autodétermination relève d’un projet d’émancipation de l’assignation sexuée imposée à la naissance.

[30] La pensée woke semble empêcher, en définitive, de voir dans les liens humains ce qui accomplit la nature humaine. Elle n’y voit que des menaces de liberté. Le principe de méfiance, d’inimitié qu’elle finit par diffuser par ses « catégories » retourne l’humanité contre elle-même. Le woke finit par être, comme le disait Montaigne, « dans la société comme dans un pays suspect ».

[32] Voir dans ce sens les références de Tocqueville au « despotisme doux ». «Les hommes qui ont la passion des jouissances matérielles découvrent d’ordinaire comment les agitations de la liberté troublent le bien-être, avant que d’apercevoir comment la liberté sert à se le procurer ; et, au moindre bruit des passions publiques qui pénètrent au milieu des petites jouissances de leur vie privée, ils s’éveillent et s’inquiètent ; pendant longtemps la peur de l’anarchie les tient sans cesse en suspens et toujours prêts à se jeter hors de la liberté au premier désordre. Je conviendrai sans peine que la paix publique est un grand bien ; mais je ne veux pas oublier cependant que c’est à travers le bon ordre que tous les peuples sont arrivés à la tyrannie. Il ne s’ensuit pas assurément que les peuples doivent mépriser la paix publique ; mais il ne faut pas qu’elle leur suffise. Une nation qui ne demande à son gouvernement que le maintien de l’ordre est déjà esclave au fond du cœur ; elle est esclave de son bien-être, et l’homme qui doit l’enchaîner peut paraître. Le despotisme des factions n’y est pas moins à redouter que celui d’un homme. Lorsque la masse des citoyens ne veut s’occuper que d’affaires privées, les plus petits partis ne doivent pas désespérer de devenir maîtres des affaires publiques. Il n’est pas rare de voir alors sur la vaste scène du monde, ainsi que sur nos théâtres, une multitude représentée par quelques hommes. Ceux-ci parlent seuls au nom d’une foule absente ou inattentive ; seuls ils agissent au milieu de l’immobilité universelle ; ils disposent, suivant leur caprice, de toutes choses, ils changent les lois, et tyrannisent à leur gré les mœurs ; et l’on s’étonne en voyant le petit nombre de faibles et d’indignes mains dans lesquelles peut tomber un grand peuple. » TOCQUEVILLE, De la Démocratie en Amérique.

[34] Alain, Propos sur les pouvoirs, Folio‐Essais, 1985, § 139.

[35] « Ce qui est le plus important ici est évidemment le fait que le scepticisme repose, aux yeux de Clifford, non pas seulement sur une base épistémique (« on ne peut pas savoir »), mais également sur une base véritablement morale : là où il n’y a pas de raisons suffisantes de croire, il y a une obligation morale d’accepter de rester dans le doute. Hume avait dit dans l’Essai sur l’entendement humain : « Un homme sage […] proportionne sa croyance aux preuves. » Ce que l’éthique de la croyance ajoute à cela est l’idée qu’il n’est pas seulement sage, mais également moral, de se comporter de cette façon. Et là où il est immoral de croire, il est, cela va sans dire, encore plus immoral d’essayer d’imposer sa croyance à quelqu’un d’autre. » Bouveresse, J. 2015. L’éthique de la croyance et la question du « poids de l’autorité ». In L'éthique de la croyance et la question du « poids de l’autorité ». Paris : Collège de France. doi :10.4000/books.cdf.4021

[36] L’exemple du capitaine sobre est le plus connu : « Le capitaine était sobre aujourd’hui » signifie, par une emphase, que le capitaine est coutumièrement ivre. […] Le faux dilemme, que l’on appelle aussi fausse dichotomie est un raisonnement fallacieux consistant à présenter deux conclusions à un problème donné, comme si elles étaient les deux seules options à ce problème. L'erreur ou la manipulation se situe dans une mise en contradiction factice des alternatives qui n'a pas lieu d'être. Lorsque le faux dilemme n'est pas repéré, le piège se referme alors avec la manière de sélectionner l'une des deux alternatives. Exemple trivial de plurium interrogationum : « Avez-vous arrêté de frapper votre femme ? ». Si vous n'avez pas d'épouse, ou que vous ne l'avez jamais frappée, la réponse « oui » est erronée car elle implique que vous avez une femme et que vous aviez l'habitude de la frapper. La réponse « non » est pire car elle sous-entend que vous avez une femme et que vous continuez à la frapper. Richard MONVOISIN, Pour une didactique de l’esprit critique, Zététique & utilisation des interstices pseudoscientifiques dans les médias, Thèse co-dirigée par les Prs. P. Lévy & H. Broch, Soutenue le 25 octobre 2007, université Grenoble 1. Pages 176 – 177. Cf. Eber N., Le dilemme du prisonnier, La Découverte, collection Repères, 2006. Cf. Le faux dilemme : être libre de ne pas choisir

[37] Cf. Lettre encyclique Fides et Ratio du souverain pontife Jean-Paul II aux évêques de l’Eglise catholique sur les rapports entre la foi et la raison. § 28. Il faut reconnaître que la recherche de la vérité ne se présente pas toujours avec une telle transparence et une telle cohérence. La nature limitée de la raison et l'inconstance du cœur obscurcissent et dévient souvent la recherche personnelle. D'autres intérêts d'ordres divers peuvent étouffer la vérité. Il arrive aussi que l'homme l'évite absolument, dès qu'il commence à l'entrevoir, parce qu'il en craint les exigences. Malgré cela, même quand il l'évite, c'est toujours la vérité qui influence son existence. Jamais, en effet, il ne pourrait fonder sa vie sur le doute, sur l'incertitude ou sur le mensonge; une telle existence serait constamment menacée par la peur et par l'angoisse. On peut donc définir l'homme comme celui qui cherche la vérité. Ce qui n’empêche pas de rappeler au paragraphe 31 que « L'homme, être qui cherche la vérité, est donc aussi celui qui vit de croyance. » § 106. Mon appel s'adresse également aux philosophes et à ceux qui enseignent la philosophie, afin qu'ils aient le courage de retrouver, dans le sillage d'une tradition philosophique constante et valable, les qualités de sagesse authentique et de vérité, y compris métaphysique, de la pensée philosophique. Qu'ils se laissent interpeller par les exigences qui découlent de la parole de Dieu et qu'ils aient la force de conduire leur discours rationnel et leur argumentation en fonction de cette interpellation. Qu'ils soient toujours tendus vers la vérité et attentifs au bien que contient le vrai. Ils pourront ainsi formuler l'éthique authentique dont l'humanité a un urgent besoin, particulièrement en ces années. L'Eglise suit avec attention et avec sympathie leurs recherches; par conséquent, qu'ils soient assurés du respect qu'elle garde pour la légitime autonomie de leur science. Je voudrais encourager en particulier les croyants qui travaillent dans le domaine de la philosophie, afin qu'ils éclairent les divers champs de l'activité humaine par l'exercice d'une raison qui se fait d'autant plus sûre et perspicace qu'elle reçoit le soutien de la foi.

[38] Cf. Jacques Maritain, Distinguer pour unir : ou, Les degrés du savoir, Desclée de Brouwer, 1932, 919 pages.

[39] « Le doute est un hommage rendu à l'espoir. » Lautréamont, Les Chants de Maldoror.



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