Au mois de mai, le CDD s’est tourné vers l’Institut Français pour la Justice Restaurative (IFJR) afin d'avoir des précisions sur ce concept novateur de justice auquel l’Inirr se réfère. Malheureusement, la nouvelle exposition des contradictions de cette instance auprès du directeur de l’IFJR est restée à ce jour sans réponse.
Monsieur le Directeur,
Après votre intervention sur le plateau de Public Sénat lors d’une émission sur la Justice restaurative, permettez-moi de faire appel à votre expertise sur l’usage qui est fait de cette notion dans le cadre de la mission de l’Inirr (Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation) suite au scandale des abus dans l’Église catholique.
L’émission, me semble-t-il, a mis l’accent sur le besoin de dépasser le cadre et le contexte du prétoire pour retrouver un climat apaisé grâce à une médiation constructive. Si j’ai bien compris, la justice restaure alors, autant que faire se peut, les relations entre des individus, dans les familles, les communautés… et en définitive, dans la société. Aussi, en visant la réparation des préjudices, cette justice restaure également les victimes dans leur dignité et leur vie intérieure brisée, tout comme les agresseurs en vue d’une réinsertion. Qui contesterait le processus et l’intention ?
Malheureusement, j’appartiens à un collectif également soucieux de solutions justes et apaisées, mais qui reste dans l’incompréhension face à l’usage que l’Inirr fait de cette innovation juridique. Depuis la création de notre collectif dit du doute, le CDD, le respect du droit et de ses procédures a toujours été pour nous une priorité essentielle face une affaire émaillée de trop d’irrégularités pour accepter que de bonnes intentions viennent paver un enfer de déraisons.
Dans le cas qui nous préoccupe, un prêtre du diocèse de Tours a été victime l’an dernier d’une campagne médiatique calomnieuse. Il est accusé d’abus sur des mineurs au sein d’une chorale d’enfants dont nous avons tous fait partie. L’accusé dément formellement les « faits », au demeurant jamais précisés. Depuis, après plusieurs plaintes, le Procureur a classé le dossier sans suite, prescription oblige, laissant dans l’indignation ceux qui auraient voulu se faire entendre et apporter des contradictions aux allégations produites dans la presse. De fait, seul un procès médiatique outrancier aura jusqu’à présent eu lieu.
Face à une violation caractérisée de la présomption d’innocence, l’Eglise locale, malgré ses obligations, a pris le parti de croire sans aucune réserve, ni enquête, les victimes autoproclamées et de condamner publiquement un homme qui crie son innocence.
Dans la foulée, l’Inirr accueille, reconnaît les victimes, engage un processus de dédommagement et donc, sans aucune preuve, laisse croire à la culpabilité d’une personne mise au ban de la société sans aucun jugement, ni examen complet du dossier. Son principe de la « présomption de vraisemblance », du « victime on vous croit », l’empêche d’entendre les éléments contradictoires qui pourraient conduire à la reconstitution de la vérité. Face à un narratif idéologique dominant qu’il est visiblement de mauvais ton de contredire, nos courriers sur ce point n’ont pas permis d’obtenir une réponse convaincante. Marie Derain de Vaucresson n’a traité aucun problème soulevé. Alors, peut-on vraiment croire dans ces conditions à la Justice restaurative que cet organisme revendique ? De quelle restauration parle-t-on ?
Une restauration psychologique ? Peut-on guérir d’un abus qui n’est pas le bon ? On ne doute jamais des récits d’agression mais la question de la mémoire n’est jamais abordée et, de fait, dans certains cas, les faits et les accusations ne correspondent pas à la réalité de la blessure. Quelle réelle restauration pour les victimes sans un travail de vérité [1] ?
Une restauration des relations ? Que fait-on des anciens choristes scandalisés par la violence du déchaînement médiatique et de l’arbitraire privant l’accusé d’un procès équitable ? Que fait-on de ceux que l’on veut faire taire à cause de leur témoignage contradictoire et de leur demande d’une enquête pour tirer cette affaire au clair ? Sans compter les autres victimes (majeures et d’abus non-sexuels).
Une restauration de la société ? Que dire de la famille de l’accusé déchirée, divisée, de la réputation de son nom sur la place publique ? Que dire des anciens choristes outrés ou dans l’expectative d’un résultat concret ? Et l’opinion publique, s’il apprend en définitive une autre réalité des faits ? Et sans aborder les dérives antidémocratiques déployées dans ce retour d’une culture du bouc émissaire.
Rien ne conduit enfin à une restauration de la mémoire des anciens chanteurs. Les mensonges proférés sur l’histoire de la manécanterie ont été validés par la Presse…, et l’Eglise, dans un climat d’omerta où beaucoup n’osent finalement pas parler.
Pour l’heure, l’enquête pénale est close. Quatre mois [2] après la décision du Procureur de classer l’affaire, le dossier n’est toujours pas parvenu à l’avocat de l’accusé. Et, en fait, même sur la scène du tribunal médiatique, rien n’est donné pour produire une défense équitable et légitime.
Récemment, parallèlement (conséquemment ?) aux interventions de l’avocat de l’accusé, une enquête canonique a enfin été ouverte. Depuis, la procédure est à peine engagée que l’Inirr poursuit sa mission auprès des plaignants encouragés par l’Archevêque qui n’a pas hésité à présider une liturgie victimaire faisant d’une célébration religieuse un grand moment de dénonciation calomnieuse.
Comprenez, Monsieur, que je me tourne vers vous pour vous demander des précisions. Trouvez-vous approprié et légitime de parler de justice restaurative dans ce cas ? L’usage de cette notion que vous défendez ne vous semble-t-il pas abusif ? Cette forme de justice peut-elle se pratiquer ou se fonder sur une violation du droit dans ce qu’il a de plus fondamental : présomption d’innocence, jugement équitable, droit à la défense, respect des procédures, des principes constitutionnels…
Outre la réconciliation entre l’Institution religieuse et les plaignants, quelle restauration l’Inirr propose-t-elle ? Comment ne pas penser à une forme d’instrumentalisation d’un concept novateur pour tout simplement mettre la poussière sous le tapis ? Pire peut-être, simplement acheter le silence des plaignants pour reconstruire une image valorisante de l’Église au détriment des autres protagonistes de cette affaire, et, qui sait, peut-être des plaignants eux-mêmes. Nous faut-il en arriver à cette consternante conclusion ?
Vous trouverez sur notre site internet, à travers une chronologie des événements, toutes les analyses du CDD et les courriers restés sans réponse. Nous vous serions reconnaissants d’y prêter l’attention nécessaire pour nous apporter des précisions utiles à l’analyse des pratiques de cette instance. Quelles propositions pourriez-vous suggérer pour que l’on sorte de ce rapport perdant/perdant que nous avons dénoncé dès notre création lors de notre conférence de presse.
Enfin, au-delà de notre demande, n’est-ce pas la pertinence et la promotion constructive de la Justice restaurative qui est en jeu ?
Aux lecteurs d’être informés dès réception d’une réponse.
NOTES
[1] Dans une époque marquée par une vague de ressentiment grandissante et menaçante, au demeurant, pour la démocratie, comment ne pas affirmer avec Cynthia Fleury (« Ci-gît l'amer. Guérir du ressentiment » (éd. Gallimard)) – pour ne reprendre qu’elle - qu’un deuil de la réparation est nécessaire pour se «réparer»? La revendication victimaire n’empêche-t-elle pas les blessés de dépasser leur propre «réification» pour faire advenir d’eux un autre ? Aucune garantie n’a voulu être apportée par l’Inirr pour nous assurer que la prise en charge des plaignants pouvait les conduire à une « nouvelle norme de vie » restauratrice, délivrés de toute amertume. « Il n’est donc nullement simple […] d’inventer un autre déploiement, celui d’une justice qui se pense par l’action, l’engagement, l’invention, la sublimation et non la réparation. » […] Cynthia Fleury ne promet pas à ses analysants de sortir «réparés de la cure», de «revivre comme ils avaient vécu, avant le drame, avant le traumatisme». «Il y aura création et non réparation», insiste celle qui assimile précisément la «réparation tombée du ciel à la pensée magique du ressentimiste».
(Cf.https://www.letemps.ch/societe/sciences-humaines/ressentiment-cette-prison-lon-quitter). Sur le site du CDD, d’autres éléments d’analyse sont disponibles sur les logiques d’enfermement et l’assimilation au mouvement Metoo préjudiciables aux victimes.
[2] A ce jour, soit six mois plus tard, après plusieurs relances, l'avocat du Père Tartu n'arrive toujours pas à obtenir les éléments du dossier.
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