« La Mané, c’est nous » a déclaré sur son site internet le collectif « Voix libérée ». Mais, est-ce aussi simple à affirmer ? Retour d'expérience sur plusieurs millénaires d'incorporation.
« La Mané, c’est nous » a déclaré sur son site internet le collectif « Voix libérée ». Mais, est-ce aussi simple à affirmer ? Ce slogan, lancé comme une fulgurance ontologique, force, malgré tout, les anciens petits chanteurs qui ont du mal à se reconnaitre dans la formule à revenir, dans une démarche philosophique, à une question essentielle : « Qu’est-ce que la Mané ? »
La réponse du collectif, déroutante à bien des égards, ne semble pas aller de soi, et ne couvre pas toute la réalité observable dans le creuset des souvenirs du Petit Chanteur. Du fond de la mémoire commune peut s’exhaler un souffle qui structure l’Esprit Mané décrit, du reste, au chapitre du livre de commémoration de ses 50 années d’existence (page 103). De son histoire peut s’exhumer les fondements invisibles et ô combien réels de ce chœur d’enfants.
Une seule notion peut recouvrir l’étendue de ce que la Mané représente : le Bien commun. Cette clé de voûte d’une pensée sociale chrétienne est à considérer, puisqu’il faut philosopher, du côté de la Substance et de l’Acte pour comprendre cette société chorale à laquelle nombre de tourangeaux ont participé.
Héritée des Scola cantorum, et autres maîtrises… de Mgr Maillet, la Manécanterie, dans son existence, est antérieure [1] à chacun de ses membres. Lorsque l’Abbé Tartu reprend le flambeau en Touraine, il n’est pas le premier, et sa chorale existera indépendamment des entrées et des sorties des 1000 petits chanteurs qui la composeront.
Dans un corps humain, toutes les cellules biologiques périssent quand d’autres les remplacent. Les cellules naissent, meurent… mais le corps demeure. Autour de l’Abbé, les jeunes sont passés, la Mané est restée ; vivante, accueillante et pourtant présente en tous. Subsistant au-delà de chaque individualité - et pourtant grâce à chaque individu - elle fut le bien de tous et de chacun. Le trésor immatériel sublimait les membres. Et s’il fallait un « nous » pour le dire, c’était le bien de « nous-tous [2] ».
Ses bienfaits étaient au bénéfice de tous quand chacun apportait librement sa part : qui des partitions, des ventes, des mâles d’aubes, de la bibliothèque, de la banque, qui de l’organisation du logement en famille, des chefs d’équipe, de la comptabilité… qui des plus petits attentifs et disciplinés qui permettaient la bonne marche des manifestations… Ces services formaient un faisceau de participations qui illuminaient le chemin des aventures, des voyages et du vivre ensemble. Les responsabilités assumées et partagées donnaient au groupe les moyens de ses rêves et de ses ambitions. L’enrichissement mutuel [3] que procurait l’accomplissement de ces missions nourrissait une vie intérieure consolidée par le don de soi, le soin des autres et l’écoute. Chaque chanteur pouvait se trouver, se réaliser et s’épanouir [4] en coopérant à une œuvre autant utile qu’exaltante. Cette petite société qui transcendait chaque membre par ces valeurs formait un tout inaliénable et bien supérieur à la somme de ses parties [5]. Un moyen de tendre vers sa perfection [6] était offert et, comme la perfection n’est pas de ce monde, elle nourrissait un idéal : « je monterai ma vie en chantant. »
Ainsi, elle n’était pas à considérer comme une association d’intérêt général, une somme d’intérêts particuliers, un bien mis en commun. On aurait pu, de ce point de vue, la prendre pour une agence de voyages, un centre de loisir, un patronage. Ce qui malgré tout a été parfois le cas. Le danger aurait alors été de simplement consommer ses services, au risque de consumer l’édifice. À trop vouloir le bien, on en oublie le commun.
À trop vouloir le bien, on en oublie le commun.
Mais l’individualisme pouvait trouver ses limites dans la pratique du chant choral car la musique était la principale finalité du groupe. Là, le travail de la voix imposait une discipline, un dépassement de soi faits d’efforts, de persévérance, de sacrifices, de renoncements… Les répétitions avaient leur lot d’exigence pour progresser dans la confrontation et l’ajustement avec les autres. Maintes fois, on remettait sur le métier l’ouvrage. Du corps à corps, des corps en chœur, le chœur à cœur conduisait au cœur à cœur en accords et, de couplets en couplets répétés, entonnait le refrain de l’amitié. L’harmonie musicale rendait les petits chanteurs comme « un » et cette commune unité faisait communauté. A sa juste place, sans concurrence, chacun élevait sa voix singulière dans une féconde diversité coordonnée. Ainsi, avec leur musique si touchante et éphémère, ils avaient en partage un bien unique qui ne se partage pas. Le chant qu’ils façonnaient les façonnait en retour. Il suffisait parfois de porter la voix pour être emporté et leurs transports les unifiaient [7]. Le bonheur venait de tous et de chacun.
Mais, en définitive, c’est dans le service liturgique assurée par la Mané que la notion de bien commun prenait toute sa dimension. Après la perfection morale et artistique, les choristes tendaient vers une autre perfection, spirituelle [8], une perfection ultime, le Bien commun suprême : Dieu lui-même [9].
Le chant liturgique unifie la personne et fait l’unité de l’assemblée en vue d’une finalité, la gloire de Dieu [10]. N’est-ce pas le fondement de la devise du Petit Chanteur ? Pourquoi ferait-il alors sa « Promesse » ? Elle l’engage à une perfection personnelle pour trouver sa Béatitude et elle l’engage à participer à une perfection commune, la grâce du Salut pour une humanité rassemblée. « Demain, tous les enfants du monde chanteront la paix de Dieu », souhaitait Mgr Maillet. La liturgie apparaît alors comme le Bien commun par excellence [11]. Chaque Petit Chanteur peut se rappeler des rares moments, presque hors du temps, où le sens de sa mission, de son témoignage par le chant, a trouvé un accomplissement particulier : les corps et les cœurs vibraient à l’unisson en portant la Foi des fidèles [12]. Il suffit de penser à Aiguebelle, le Salve, les congrès internationaux de la Fédération des Pueri Cantores… Chaque petit chanteur aurait son moment de révélation à partager.
Il demeure dans ce cas difficile de maintenir un « nous » revendicatif pour cerner la Manécanterie. Cette position, projetée sur l’écran de la philosophie politique, donne à voir une image déformée et finalement dévoyée du Bien commun. Le collectivisme du « nous » exclut l’épanouissement des relations, absorbe les singularités au profit d’une totalité visant l’unité pour se défendre. Platon le voyait ainsi. Cet adepte du Bien-en-soi, idéaliste, voyait l’unité absolue comme le but de la cité.
Malheureusement, cette finalité du « nous » hégémonique provoque la dilution des individualités dans un tout totalitaire. Le primat de la volonté générale pousse alors à la démission des responsabilités individuelles et altère la liberté. En ce sens, la position du «nous» des « Voix » dites « libérées » est en cohérence avec le positionnement militant de son lexique.
Dans ce cas de figure, les relations entre les membres se gèlent dans une justice erratique. A contrario, Aristote, à juste titre, entend à son tour l’union de la cité, mais dans la diversité par l’amitié ; une union vivante et libre. Sans philia, inévitablement, la justice devient, dans une guerre froide, une technique dénuée d’âme au service du plus fort opprimant tôt ou tard le plus faible. À trop vouloir le commun, on en oublie le Bien.
À trop vouloir le commun, on en oublie le Bien.
La Cité se justifie par l’homme pour y « vivre bien [13] » et y découvrir sa propre finalité. Les bonnes relations agréables, utiles et honorables structurent alors les fondements d’une société fructueuse, pour chacun, et pour tous ; le seul point d’équilibre entre le Bien et le commun n’étant que la dignité [14] de la Personne à préserver. Quand l’intersubjectivité vient à souffrir, se rompre, le Bien commun ne se restaure que par l’instauration d’une concorde renouvelée. Là, la justice peut avoir un rôle à jouer, quand la sécession ne pourrait rien avoir de constructif.
En définitive, après cette approche à la fois collégiale, musicale et ecclésiale, définir ce corps intermédiaire qu’est la Mané oblige à trouver une autre formule plus englobante, plus fidèle à sa finalité, qui ne souffre pas l’entre-deux et encore moins les entre-soi particuliers. S’il fallait le dire à la première personne, tout pourrait se résumer en une expression : « la Mané, c’est moi et c’est (nous-) tous ». La conjonction de coordination n’a jamais été en option.
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NOTES
[1] La cité suppose « l’existence d’un bien commun [...]. Tout comme le tout est plus important que la partie et lui est antérieur [...], la cité est antérieure à l’individu [...] et son bien est d’une dignité plus élevée [...] que celui de chaque individu pris en lui-même [...]. » Aristote, Les politiques, - I, 2, GF Flammarion, 575 pages. Page 92.
[2] « C’est le bien du « nous-tous », constitué d’individus, de familles et de groupes intermédiaires qui forment une communauté sociale. Ce n’est pas un bien recherché pour lui-même, mais pour les personnes qui font partie de la communauté sociale et qui, en elle seule, peuvent arriver réellement et plus efficacement à leur bien » Benoît XVI, encyclique Caritas in veritate, CV 7.
[3] « Une société qui, à tous les niveaux, désire véritablement demeurer au service de l'être humain, est celle qui se fixe le bien commun pour objectif prioritaire, dans la mesure où c'est un bien appartenant à tous les hommes et à tout l'homme. La personne ne peut pas trouver sa propre réalisation uniquement en elle-même, c'est-à-dire indépendamment de son être « avec » et « pour » les autres. Cette vérité lui impose non pas une simple vie en commun aux différents niveaux de la vie sociale et relationnelle, mais la recherche sans trêve du bien sous forme pratique et pas seulement idéale, c'est-à-dire du sens et de la vérité qui se trouvent dans les formes de vie sociale existantes. Aucune forme d'expression de la socialité — de la famille au groupe social intermédiaire, en passant par l'association, l'entreprise à caractère économique, par la ville, la région et l'État, jusqu'à la communauté des peuples et des nations — ne peut éluder la question portant sur le bien commun, qui est constitutive de sa signification et la raison d'être authentique de sa subsistance même. » Cf. Jean XXIII, Encycl. Pacem in terris: AAS 55 (1963) 272. Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise, 165.
[4] Le Bien commun, c’est « l’ensemble des conditions sociales permettant à la personne d’atteindre mieux et plus facilement son plein épanouissement » Jean XXIII, encyclique Mater et Magistra, 1961, 65.
[5] Le bien commun ne consiste pas dans la simple somme des biens particuliers de chaque sujet du corps social. Étant à tous et à chacun, il est et demeure commun, car indivisible et parce qu'il n'est possible qu'ensemble de l'atteindre, de l'accroître et de le conserver, notamment en vue de l'avenir. Comme l'agir moral de l'individu se réalise en faisant le bien, de même l'agir social parvient à sa plénitude en accomplissant le bien commun. De fait, le bien commun peut être compris comme la dimension sociale et communautaire du bien moral. Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise, 164. Ajoutons : « Le bien commun (…) n’est jamais l’addition des biens de chacun de membres. Il est toujours le bien de l’unité harmonieuse, organique, du tout social. » Marcel Clément dans La doctrine sociale de l’Eglise. https://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/justpeace/documents/rc_pc_justpeace_doc_20060526_compendio-dott-soc_fr.html#I.%20SIGNIFICATION%20ET%20UNIT%C3%89
[6] « De la dignité, de l'unité et de l'égalité de toutes les personnes découle avant tout le principe du bien commun, auquel tout aspect de la vie sociale doit se référer pour trouver une plénitude de sens. Selon une première et vaste acception, par bien commun on entend: « cet ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu'à chacun de leurs membres, d'atteindre leur perfection d'une façon plus totale et plus aisée » ». Concile Œcuménique Vatican II, Const. past. Gaudium et spes, 26: AAS 58 (1966) 1046; cf. Catéchisme de l'Église Catholique, 1905-1912; Jean XXIII, Encycl. Mater et magistra: AAS 53 (1961) 417-421; Id., Encycl. Pacem in terris: AAS 55 (1963) 272-723; Paul VI, Lettre apost. Octogesima adveniens, 46: AAS 63 (1971) 433- 435.
[7] 2.3. Le chant unifie la personne, et fait l’unité de l’assemblée. Le chant favorise une posture d’écoute, de compassion, de joie, de sérénité… L’homme écoutant et chantant de tout son corps est éveillé comme sujet en ses sens et en son agir. Le chant tend à unifier aussi les groupes humains. Le chant en commun, animé par l’Esprit, appelle à l’unanimité tous ceux que le Christ sauve pour qu’ils louent d’un seul cœur et d’une seule voix, formant ainsi une assemblée sainte, corps d’une même écoute. Universa Laus, De la musique dans les liturgies chrétiennes, Document II, Mai 2002. https://universalaus.org/wordpress/wp-content/uploads/2010/01/2-document-ul-fr.pdf
[8] « Il va de soi (…) que la prière d’amour ne peut comporter la moindre médiocrité, sinon elle devient désinvolture au lieu d’être hommage. La perfection du chant, par la discipline qu’elle suppose, entraîne la perfection du cœur, et, inversement, seule la qualité de l’âme répond de la qualité du chant. Ici l’art et la vertu se rejoignent. C’est notre charité qui devient chant, notre oraison qui devient musique, dit M. Le Guennant. La qualité est le témoignage de l’amour… » (Henri Gauthier, op. cit., p.34) « La qualité dans l’œuvre d’art est l’expression de la caritas. » (J.Samson, ibid.) » (L’art grégorien de la prière par un moine de l’Abbaye de Fontgombault d’après Chant grégorien Art et prière de l’Eglise, page 120-121)
[9] Dans une approche thomiste, le bien commun est l’organisation politique et sociale qui permet de tendre vers Dieu. La société répond à un principe directeur qui garantit le « bien » pour tous : le salut.
[10] 2.12. Le corps de celui qui chante est le lieu saint où il se tient devant Dieu. Dans la liturgie chrétienne, le chant d’assemblée demande le corps de chacun, livré et relié à tous, en vue de former un seul corps. Les croyants, rendus capables par leur chant de faire corps, unis par l’Esprit pour être le Corps du Christ, participent au mystère de l’Incarnation et disent la gloire de Dieu. Universa Laus, De la musique dans les liturgies chrétiennes, Document II, Mai 2002.
[11] « La liturgie est la partie la plus éminente du Bien commun. Elle est le bien par excellence, puisqu’elle ordonne symboliquement le corps intentionnel en vue de la fin la plus parfaite de chacun de ses membres. Mais, si elle est la fine pointe du Bien commun, elle n’est pas tout le Bien commun, car celui-ci intègre l’organisation du conditionnement communautaire, des structures économiques et sociales et juridiques qui ne sont présentes que symboliquement – mais réellement – dans la liturgie. […] L’acte liturgique n’est donc pas ce qui constitue la communauté politique, mais ce qui lui permet de s’accomplir comme communauté humaine. De même que l’homme est homme sans l’agir éthique, de même la communauté politique n’est pleinement humaine dans son « agir » que par son ordre au sacré et au divin. » Samuel Rouvillois, Corps et sagesse, Philosophie de la liturgie, Alethéia, Fayard, 490 pages, 1995. Pages 95-96.
[12] « Les Pères exaltent le chant liturgique (…) Leur lecture biblique n’est pas exclusivement spirituelle, mais elle accueille aussi les dimensions anthropologiques et psychologique des différentes pratiques du chant, qui font naître la joie de l’âme, la santé physique ou psychique, une émotivité tellement intense qu’elle peut paraître ambiguë : remède pour les hommes charnels mais gêne pour le spirituels. C’est surtout le symbolisme du chant choral qui est mis en relief : il est au service de la parole. Ciment de la communauté (signe et gage d’unité), sacrifice spirituel, prophétie du Royaume, communion avec les chœurs angéliques et anticipation eschatologique. La pratique liturgique du chant s’insère dans une vision mystérique, sacramentelle, et les textes (des pères) qui en parlent relèvent plus du genre de la mystagogie que du traité. » Eugenio Costa js, Dictionnaire encyclopédique de la liturgie, ss dir. Domenico Sartore et Achille M. Triacca, Brepols, 2003. Page 172.
[13] Aristote, Les politiques, - III, 6, GF Flammarion, 575 pages. Page 225. « Or, la cité est une communauté déterminée que forment les gens semblables, mais en vue d’une vie qui soit la meilleure possible. Mais puisque ce qui est le meilleur, c’est le bonheur, lequel est une réalisation et un usage parfaits d’une vertu, et qu’il se trouve que certains peuvent avoir part à celle-ci et d’autres peu ou pas du tout, il est évident que c’est là la cause de l’existence de différentes variétés de cités et de plusieurs constitutions. Les peuples partant chacun à la chasse au bonheur d’une manière différente et avec des moyens différents, ils créent les divers modes de vie et les diverses constitutions » ; Pol. VII, 8. Page 474.
Bertrand de verneuil
Dans l'article "c'est qui la Mané" j'ajouterais bien la notion de mission du petit chanteur, et de la manécanterie qui a été donnée par:
Monseigneur Maillet, fondateur des petites chjanteurs à la croix de bois,et son successeur le père Delsinne 1967
Monseigneur Ferrand 1971 Tours
Monseigneur honoré 1981 Tours
ces trois évêques ont été:
pour l'un d'entre eux la source d'inspiration, et l'objectif à atteindre, dans un cadre défini par Monseigneur MAILLET;
pour les 2 autres Deux évêques "patrons" de l'Abbé qui donnaient des missions correspondants aux compétences de l'abbé,et aux besoins du diocèse.
la Mané avait 2 vocations:
la première : faire passer des messages de foi et d'espoir en utilisant la force du chant.
La…