Face aux chocs des publications, un témoignage en forme d'appel aux bonnes volontés.
Monseigneur,
Un collectif d’anciens Petits Chanteurs de Touraine est venu me solliciter pour participer à un recueil de dépositions à charge contre le Père Tartu. Leur déclaration étayée de coupures de presse peu élogieuses et leur démarche m’ont particulièrement troublé, à la mesure de mon dévouement et de mon implication dans la Manécanterie dont il a eu la charge pendant de très longues années. Relire plus de vingt ans d’engagement sous un tel prisme ne peut être, comme pour beaucoup de choristes, que particulièrement déroutant.
Cependant, au lieu de rester prostré dans un silence à certains égards coupable, permettez-moi de répondre aux sollicitations de ce collectif par mon témoignage personnel tout en cherchant une issue à cette crise désastreuse et ravageuse dans le cœur des croyants.
« L’Abbé », comme nous l’appelions dans la chorale, nous a légué un idéal résumé en une simple phrase : « Je monterai ma vie en chantant ». Disciple lui-même de Mgr Maillet, il n’a, en quelque sorte, jamais cessé d’être un Petit Chanteur et de l’appliquer en nous proposant une vie d’aventure, d’exigence, de dépassement… Enfin, point n’est besoin de faire ici la liste de toutes les valeurs incarnées pendant ces années d’accompagnement. Un livre [1] les contient. Il a été édité à l’occasion du cinquantième anniversaire de la Manécanterie.
Retenons plutôt de cette maxime héritée de son mentor les bienfaits du chant qu’elle sous-tend : le « chœur à cœur » dans l’unité musicale, l’apprentissage de l’harmonie dans la vie fraternelle… et surtout l’expression intime de cette union de l’âme et du corps qui pousse tout mon être à tendre vers sa finalité ultime : la louange et le sacrifice d’action de grâce. La mise en voix était une mise sur la voie de l’Evangile accordée au tempo des pulsations du cœur de Dieu. Qui plus est, le verbe « monter » s’entend dans le sens de « bâtir ». L’édifice de nos vies ne pouvait porter l’écho (faire résonner en nous) du Verbe sans être établi sur un fondement stable, un roc, le Rocher de notre salut.
Ainsi, nos plaisirs de la musique et de l’aventure entre copains étaient nimbés d’un mystère imperceptible aux yeux de l’insouciance. Mais avec du recul, je dois bien vous avouer que nous nous en sommes tous montrés parfois bien indignes. Oui, j’avoue avoir versé des larmes devant, parfois, le piètre accomplissement des vœux de notre Promesse [2] de Petit Chanteur. Et, aujourd’hui, les voix fécondes de mon enfance se taisent. La mélodie du bonheur s’éteint. Alors, je pleure encore de n’entendre que le silence de voix discordantes qui remplace l’harmonie du passé par un bruit médiatique assourdissant.
La lettre de mobilisation que j’ai reçue convoque l’amitié. Mais de quelle amitié parle-t-on si elle doit inclure certains et en laisser d’autres, opposer les « pour » et les « contre » ? Cette démarche vient comme un écho de formules toutes faites d’un monde épris de justice au rabais qui croit devoir passer par un grand déballage pour obtenir gain de cause. Où a-t-on vu que le scandale portait bonheur ? Dans les jeux de téléréalités où les alliances se font et se défont au gré des opportunités passagères ? « La honte, dit-on, doit changer de camp ». Pour que la formule soit juste, il faudrait que beaucoup soient complices et reportent les torts sur les victimes ou leur imposent une réserve. Il faudrait que les regards se portent sur eux dans un silence complice qui les enferme dans une douleur sans issue. Est-ce le cas pour cette affaire ? Quoi qu’il en soit, la honte est désormais sur nous tous.
N’ayant jamais eu vent de quoi que ce soit de la sorte, vous comprendrez, je crois, que je n’arrive pas à me résoudre à ce lynchage médiatique grandissant. Et quid de la présomption d’innocence ?
Maintenant, s’il faut évoquer des faits, alors allons-y : oui, le Père Tartu prenait soin des âmes et, dans une bien moindre mesure, des corps. Sa légendaire valise à pharmacie marron de toutes les tournées ne comportait aucun secret, pour personne. Il y puisait de quoi soigner, comme tout infirmier. J’ai moi-même été au bénéfice de ses sollicitudes. Mais jamais je n’ai senti ou perçu la moindre ambiguïté dans ses gestes et ce qu’il prodiguait. Aussi, je ne me considère aucunement victime. Sinon, que penser alors des médecins ?
Puisqu’il faut tout dire, nous avons tous appris à vivre avec les défauts de l’Abbé, ses colères rentrées, ses silences boudeurs.... nous les évoquions souvent entre nous sans les comprendre. Parmi eux, force était de constater son incapacité à tenir tête… aux fortes têtes, sa manière de se faire influencer, par bonté, par l’un ou l’autre. Nous prenions parfois pour un manque d’autorité l’expression sans doute d’une miséricorde assumée. Nous sommes, en fait, loin du pervers charismatique à la notoriété incontestable. Des ombres au tableau, on en trouvera toujours, mais pas de quoi en faire, à ma connaissance et d’après mes souvenirs, un sombre portrait de récidiviste.
Il se plaisait souvent à nous rappeler, pour nous éviter de faire des bêtises : « Vous savez, tout se sait, un jour ou l’autre, tout se sait ! » Comment n’aurait-il pas pu en tirer une leçon pour lui-même ?
Ces réserves m’incitent donc à vous demander de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour mettre en œuvre une authentique recherche de vérité dans une communication proportionnée, juste et digne. Des confrontations ont-elles eu lieu pour établir la matérialité des faits et les intentions ? Quelles démarches sont en cours pour que chacun soit entendu ? Quelle que soit l’époque des faits, comment ouvrir la voie d’une réconciliation ? Si l’on veut la lumière, qu’elle soit entière. Dieu ne connaît pas la prescription.
Comprenez que nous ayons besoin d’une clarification saine. Maintenant que ces affaires viennent entacher nos souvenirs, que reste-t-il de notre idéal ? Faudrait-il se résigner à le balayer pour se livrer à une mode, à défaut de modernité, qui n’offre rien de mieux qu’une dislocation d’un corps social, ecclésial ? Sur ma route, j’ai assez croisé l’abus, sous d’autres formes. J’en aurais beaucoup à dire. Il ne m’est jamais venu à l’idée de l’exposer en public. Du reste, je croyais cette première période de ma vie chrétienne intacte, à l’abri de ces déchéances contemporaines. Est-ce de la naïveté de s’y accrocher ? Comment dépasser les doutes, les remises en cause ? Comment rester fidèle à soi-même, à son esprit d’enfance ? Comment réanimer les enchantements du fond de ma mémoire ?
N’en déplaise à certains, mon idéal, je le garderai en déclinant autrement sa formule : « Je chanterai ma vie en montant » ;
- parce qu’il faut bien un chant pour espérer un peu d’altitude et être arraché aux pesanteurs de ce monde. Car un chant qui s’élève, n’élève-t-il pas un peu celui qui l’entonne ? ;
- parce que l’autre, mon frère, sera toujours plus grand que moi et qu’il faudra bien que je m’abaisse pour lui venir en aide ;
- parce qu’il faut savoir relever la tête et tourner les yeux vers des sommets ;
- parce que, à la différence de Sisyphe trainant son boulet sans trouver ni sens ni repos, nous avons à gravir le Golgotha pour recevoir un peu de ce Sang qui restaure, gratuitement ;
- parce qu’au-dessus des ciels d’orages, le ciel est toujours beau ;
- parce que l’espérance du Salut nous relève. Quels que soient les abîmes au fond desquels mon péché m’entraine, mon ascension n’en sera que plus glorieuse ;
- parce que, tout simplement, j’ose encore croire à la Mané éternelle [3].
« Je chanterai donc désormais ma vie en montant ».
Quand nous l’avons rencontré, comme un premier de cordée, l’Abbé était sur ce sentier, un sentier étroit emprunté par d’autres avant lui. Quoi qu’on dise de lui, on ne lui enlèvera pas car il ne lui appartient pas. Et pour chacun, la voie est toujours ouverte : le Chemin, la Vérité et enfin la Vie.
Vous remerciant de l’accueil favorable que vous réserverez à cette démarche, je vous prie d’agréer, Votre Excellence, l’expression de mes salutations les plus fraternelles.
Un inconditionnel petit chanteur.
Denis J.
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NOTES
[1] Abbé Bernard Tartu, Les Petits Chanteurs de Touraine à travers 50 ans d’histoire, Ed. Hugues de Chivré, 2009, 200 pages.
[2] Ibidem, page 103.
[3] Ibidem, page 185-187.
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