En réponse aux plaintes déposées par les Voix libérées, le Procureur de la République a rendu un avis de classement sans suite, prescription oblige, le 16 mars 2023. Mais, les motivations avancées ayant laissé croire à la culpabilité de l’accusé, le Collectif du Doute (CDD) a tenu à dissiper des malentendus et, pour cela, a reconstitué l’avis d’un pénaliste sur cette décision. Retour sur quelques points juridiques de clarification à connaitre avant de tirer des conclusions trop hâtives.
Collectif du Doute - En droit Français, lorsqu’une plainte pénale est déposée, qu’une enquête est diligentée par les services de police ou de gendarmerie, sous l’autorité de qui se déroule-t-elle ?
Pénaliste - L’enquête pénale se déroule sous l’autorité du Procureur de la République.
CDD - Que se passe-t-il au terme de l’enquête et qui décide de la suite à lui donner ?
P - A la fin de l’enquête, le Procureur décide de l’orientation du dossier. Si les faits dénoncés sont susceptibles de constituer une infraction pénale, le Procureur renvoie le dossier devant une juridiction de jugement. Pour les infractions les plus complexes ou les plus graves, le Procureur saisit un juge d’instruction. Dans le cas contraire, il classe le dossier sans suite.
CDD - Lorsqu’une plainte fait l’objet d’un classement sans suite, pouvez-vous nous expliquer brièvement ce que cela signifie ?
P - Cela signifie que la plainte déposée ne fera l’objet d’aucune suite pénale.
CDD - Quels sont les motifs de classement sans suite prévus par la loi ?
P - Il y en a essentiellement trois :
Les faits dénoncés relèvent de la compétence d’une juridiction non pénale ;
Les faits, objet de la plainte, ne constituent pas une infraction pénale ou encore l’infraction présumée est insuffisamment caractérisée ;
Les faits sont prescrits, c’est-à-dire trop anciens pour être poursuivis.
CDD - Nous vous présentons un avis de classement sans suite. D’après vous, sans rien connaitre de l’affaire dans laquelle il a été rendu, ce document appelle-t-il spontanément des remarques ?
P - Il s’agit d’un courrier d’information classique de classement sans suite pour prescription des faits. Néanmoins, une phrase est particulièrement ambigüe : « les faits dénoncés ou révélés dans la procédure engagé contre vous constituent bien une infraction mais le délai fixé par la loi pour pouvoir les juger est dépassé ».
CDD - Je vous précise que dans l’affaire, objet de l’avis de classement qui vous est présenté, les faits, anciens de 30 à 40 ans, étaient contestés par le mis en cause et reposaient exclusivement sur les affirmations des plaignants.
P - Dans ce cas, la phrase mentionnée appelle de ma part plusieurs remarques :
« Les faits dénoncés ou révélés… » : par cette phrase, le Procureur de la République semble tenir pour vrai la version des plaignants, sans tenir compte des contestations du mis en cause ;
« …la procédure engagée contre vous… » : expression curieuse car aucune procédure n’a été engagée contre le mis en cause, puisque l’affaire est classée sans suite. Une enquête seulement a eu lieu ;
« Les faits …. constituent bien une infraction pénale … » : Cette appréciation n’a pas sa place dans une décision de classement sans suite pour prescription. Si les faits tels qu’ils sont dénoncés peuvent potentiellement constituer une infraction pénale, cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont établis. Aucune juridiction n’étant saisie, aucune décision de culpabilité ou de disculpation innocentant le mis en cause ne sera prononcée. Autrement dit, rien de nature à fonder une vérité judiciaire ;
« … le délai fixé par la loi pour pouvoir les juger est dépassé. » : Il s’agit d’un classement sans suite pour prescription des faits. Cela signifie que la justice n’est plus légitime à se saisir de l’affaire compte tenu de l’ancienneté des faits exposés par les plaignants. De fait, en raison de l’extinction de l’action publique, même s’ils étaient prouvés, ils ne seraient plus poursuivables ni punissables pénalement. Selon la cour de cassation, la prescription de l’action publique ôte aux faits poursuivis tout caractère délictueux (Crim. 27/10/1993 n° 92-82.374).
CDD - Est-ce habituellement sous cette forme que les affaires sont classées sans suite ? Le Procureur de la République est-il habilité ou a-t-il compétence pour se prononcer ou émettre une appréciation sur les faits d’une affaire classées sans suite ?
P - Le Procureur de la République n’est pas une juridiction de jugement. Dans le procès pénal, il représente le ministère public chargé de défendre les intérêts de la société. Il « exerce, selon l’article 31 du code de procédure pénale, l’action publique et requiert l’application de la loi dans le respect du principe d’impartialité auquel il est tenu ». Il « reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner » en application de l’article 40 du code de procédure pénale. Et enfin, comme le stipule l’article 40-2 du code de procédure pénale, lorsqu’il décide de classer sans suite la procédure, il en avise les plaignants, notamment, « en indiquant les raisons juridiques ou d’opportunité qui la justifient ».
Il en résulte que le Procureur motive sa décision de classer une affaire sans suite, mais ne peut, lorsque la décision de classement est fondée sur la prescription des faits, émettre une quelconque appréciation sur le fond de l’affaire ou considérer que les faits dénoncés constitueraient une infraction pénale. S’il le faisait, il excèderait sa compétence et sortirait de sa fonction.
CDD – Mais la décision du Procureur que nous vous présentons semble pourtant apporter sa part de clarté sur les faits allégués.
P – Non, elle reste à mes yeux clairement ambigüe. Pour des faits prescrits qui ne seront jamais jugés par un tribunal, le Procureur de la République ne peut pas affirmer qu’ils constitueraient une infraction pénale, en aucun cas, et a fortiori lorsque les faits sont contestés par le mis en cause.
On est fondé à considérer ici que le Procureur s’est affranchi de son devoir d’impartialité, en tentant de maintenir aux faits dénoncés un caractère délictueux qu’ils n’ont plus.
CDD – Alors, lorsque le Procureur complète sa décision de classement par une appréciation, quelle en est la valeur et la portée ?
P - Aucune. Une appréciation par un magistrat qui n’a pas compétence pour l’exprimer est sans portée.
Mais, aujourd’hui, pour les infractions à connotation sexuelle, on assiste à une évolution, voire une dérive dans ce domaine. Une attention toute particulière est apportée à ceux qui se déclarent victime. Lorsqu’une plainte est déposée, une enquête a minima est diligentée même lorsque les faits sont prescrits.
Pour toute autre infraction, si les faits sont prescrits, la plainte est immédiatement classée sans suite, ce qui est logique puisque l’action publique ne peut plus être engagée. Il est donc inutile d’enquêter et de mobiliser des effectifs, mieux employés à traiter les faits non prescrits, et ce indépendamment de toute influence partisane puisque la prescription est une notion objective réglée par le code pénal et le code de procédure pénale.
CDD - Pour revenir à l’avis de classement présenté, quelles conséquences peut-on tirer de l’avis du Procureur?
P - En conséquence de ce qui précède, il ne peut être tiré aucune conséquence de cet avis de classement. Les plaignants et le mis en cause sont informés du classement sans suite des faits dénoncés pour prescription. Toute autre considération est sans portée.
CDD – A bien vous comprendre, le Procureur n’était visiblement pas dans son rôle. N’y aurait-il pas un détournement subtil de la prescription et de la présomption d’innocence ?
P- On peut dire effectivement que le Procureur est sorti de son rôle et s’est prononcé au-delà de sa compétence. En affirmant que les faits dénoncés constituent une infraction, le Procureur se substitue à un tribunal qui ne sera jamais saisi, ce qu’il n’a pas vocation à faire. Or, seul un tribunal, c’est-à-dire une juridiction de jugement, peut dire si une infraction est constituée et se prononcer sur la culpabilité d’un mis en cause.
CDD - A partir de ce document, les plaignants peuvent-ils donc néanmoins se considérer comme des « victimes » et affirmer que l’institution judiciaire les auraient reconnues comme telles ?
P - Non. Il n’y a pas de victime sans coupable. La prescription ayant ôté aux faits dénoncés leur caractère délictueux, l’affaire ne sera jamais jugée. Il n’y aura jamais ni victime, ni coupable. Il y a seulement des plaignants.
CDD - Dans le cadre de l’enquête, des personnes ont écrit au Procureur et demandé, en vain, à être entendues comme témoin. Elles ne l’ont pas été. Par ailleurs ni le mis en cause, ni les plaignants n’ont fait l’objet d’expertise psychologique ou psychiatrique. En l’absence de ces investigations, dans un dossier pour abus sexuels, peut-on considérer que l’enquête est aboutie ?
P – Non, pas du tout. Une enquête doit être instruite à charge et à décharge. Qui plus est, en pareille matière, il faut en effet avoir recours à des experts psychologues et psychiatres. Sans ces éléments de personnalité, on ne peut pas considérer qu’une enquête est aboutie. Sans cela, aucun tribunal ne pourrait se prononcer sérieusement. Mais ces investigations, et le coût qu’elles représentent, sont une dépense qu’il est inutile d’engager dans une affaire classée sans suite.
CDD - Vous semblerait-il normal que des journalistes ou des personnalités publiques se servent de cet avis pour laisser entendre qu’une condamnation par la Justice aurait eu lieu ?
P - Cela n’est pas possible. Le droit positif actuel ne leur permet pas. Mais notre époque tolère que les personnes se disant victime d’abus sexuels, et leurs défenseurs, s’affranchissent impunément des règles de droit. Cette évolution peut bien évidemment faire débat car elle s’articule mal avec le principe de la présomption d’innocence.
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